Une couverture grise sur un temps maussade, Astérix qui shoote une boule de feu comme Street Fighter, le ton est donné, on va voir ce qu’on va voir. Il est acquis depuis la mort de Goscinny qu’Astérix tel qu’on le connaissait avant a disparu. Depuis, c’est d’autres personnages, tentant de copier mimétiquement les précédents albums qui ont peuplé les derniers albums qu’Uderzo conçoit seul. On aime, on aime pas, peu importe, c’est un fait. Enfin presque. Il est encré et assisté. Mais son trait s’est affiné avec le temp. Un excellent cas de progression artistique. Malheureusement, c’est lui-même qui se dit quoi dessiner. Du coup, on a droit à des pages un peu vide et surtout une disposition assez anarchique des cases. Eh oui, il est loin le temps où Goscinny laissait dans son script: “Ici, plan aérien de Rome détaillé” et où Uderzo s’exécutait. C’est presque un peu dommage qu’il ne soit pas lancé de défi artistique alors qu’il en a les capacités et le talent.

L’histoire (qui commence sur la page de gauche… un symbole caché?)… Une soucoupe volante débarque au dessus du village gaulois. En débarque un Tadsylwien nommé Toune (anagramme de Walt Disney, toutes les références sont mises en annotation, des fois que personne ne comprenne. En débarque un Superclone, un Swarzy déguisé en Superman. Tous volent. On comprend vite qu’ils sont là pour affronter les terribles Nagmas (mangas). Effectivement ils sont terribles, ils ont dans leurs fusées cornues des soucoupes appelées les Goelderas. I kid you not ! Attention racisme sous-jacent: les nagmas veulent être les seuls maîtres de l’univers. Ils sont je cite “envieux, vindicatifs”, ils copient tout le monde mais sont moins avancés en science. Attention, vieux cliché du Japon des années 70-80 où l’industrie nippone copiait les transistors et des appareils photos. Visiblement il n’en est pas sorti. En plus il les fait parler avec un phrasé “Moi vouloir arme ultime” “Moi plus revenir sur Terre”, pour accentuer l’effet Rue Montgallet, tendance “très frais rouleau de printemps”. Une fixette. J’ai même souvenir d’une émission de TV présenté où il était en face de Go Nagai. “J’aime beaucoup ce que vous faites” lui dit Go. “Eh bien moi je n’aime pas ce que vous faites, je trouve ça trop violent.” répond-il à un invité étranger qui se dépatouille comme il peut pour comprendre.

Le fait que cet album soit sous le signe de la référence bête et du mépris de “l’étranger” le rend encore plus triste. Passons sur le fait qu’il soit scénaristiquement bancal (Toune remonte plusieurs fois dans sa soucoupe, une splash page entière consacrée à la soucoupe, une boule sous photoshop, les dernières pages qui ne servent à rien avec Toune qui grandit, change du violet au noir…). En fait, ça en devient gênant pour Uderzo. Ca fait un peu le mec qui voulait dire quelque chose, mais qui le fait en bégayant. En fait, sans s’en rendre compte, Uderzo nous offre l’album le plus significatif de ces 20 dernières années, celui qui nous rappelle à quel point la vieillesse est une chose glauque, que le gâtisme nous touchera probablement tous un jour ou l’autre. A défaut d’être drôle, cet album a le goût amer de la dégénérescence de ceux que l’on aime et qui nous quittent avant que cela soit l’heure. Bien sûr devenir gaga n’est pas une fatalité. Regardons le cas de deux des auteurs de bande dessiné les plus significatif du XXème siècle. Will Eisner a touché au sublime dans plusieurs de ses œuvres tardives, défiant la mort et la vieillesse jusqu’au bout. Le parcours de Hergé est lui aussi remarquable, puisqu’il fait passer son œuvre d’une bonne droite pure et dure à un gauchisme révolutionnaire digne du sous commandant Marcos. Uderzo depuis qu’il est en solo ne donnait rien qui justifie de l’indignement, tout juste de l’inodore. Il passe tout de suite à l’œuvre testament. Il déconstruit son personnage, ce qu’il est le seul à avoir le droit de faire. Un cas d’école.

Il livre l’album le plus mélancolique d’Astérix, celui de la vieillesse. Inutile, sinistre, pas même amusant… Pour toutes ces raisons, un album exceptionnel.