Shadowplay : The Secret Team est un comics docudrama sur 30 ans de relation politico économique des Etats unis et de raccourcis moraux que ses dirigeants successifs ont décidé de prendre avec leur propre éthique. Sous entendu: ventes d’armes, ignorance opportuniste de deal de drogues, actions commando ultra secrètes, le tout étant rigoureusement amoral mais aussi anticonstitutionnel. Cet état des lieux graphique en à peine 30 pages encastré dans le recueil Brought To Light, toujours d’actualité aujourd’hui date de 1988 et est signé par le fan favorite Alan Moore et l’ultra talentueux Bill Sienkiewicz. De la part de Moore, pas de surprise, il a un propos, assez documenté, et quiconque connaît ce fou assez imparable de la bande dessiné pour adulte sait qu’il n’aborde pas un sujet sans une profonde documentation et un message à faire passer. Le choix de présenter un aigle anthropomorphe, agent de la CIA qui se bourre la gueule dans un bar peut paraître saugrenu, mais pourtant ca fonctionne (ceci dit, il procèderait de manière forcement différente aujourd’hui, je suppose). On se passionne assez vite pour cet exposé, beaucoup plus vivace qu’un reportage de « Secret d’Actualité » sur M6 (qui sont d’ailleurs rarement des secrets, sans même parler d’actualité). Un mot sur le dessin : c’est sans doute un des meilleurs travaux de Bill Sienkiewicz qui se laisse complètement aller, qui s’abandonne complètement au propos, travaillant profondément son propos jusque dans la typo. Magnifique, de la rage sur papier !

Je vous recommande donc assez chaudement cette histoire courte qui ne perd en rien de sa portée malgré ses années, et qui nous rappelle aussi qu’il y a un manque cruel de bande dessinées politique, engagées ou pas. Technikart nous fait bien la campagne présidentielle scénarisé par Guy Birenbaum (qui tente faire du buzz en ce moment autour de son bouquin politique “à paraitre” cf son blog), mais il y a comme un manque dans le secteur. Il est à noter qu’il existe des mangas engagés, plutôt d’une droite assez libérale pour ne pas dire très à droite qui demeure pour moi des mystères dont la portée m’échappe totalement. Finalement, ce genre de média n’est-il pas comme tout ces films politiques gavant qui prêchent uniquement des convaincus ? N’est-il pas mieux ou plutôt plus efficace s’il y a opinion à faire passer, de le faire dans un contexte neutre voire proche du non-sens ou du contradictoire ? Bref, du Alan Moore qui vaut son temps de réflexion.

Dernière remarque : A titre personnel, ce serait le genre même qui m’intéresserait de produire si seulement la narration graphique à faire soi-même ne me demandait pas un effort surhumain sans parler d’un temps fou. Le choix artistique, très cru et brut de décoffrage de Sienkiewicz dont découle Ashley Wood aujourd’hui donne aux textes d’habitude ciselés de Moore une espèce de force pamphlétaire qu’il n’aurait pas eu avec ses dessinateurs habituels.