Le comics que tu dois lire.

Je dois avoir 34 différents brouillons word, réparti entre PC différents, mac et clefs usb de merde qu’on paume tout le temps, consacrés au travail de Brubaker sur Captain America. Même des idées mailé à soi-même pour ne pas oublier. En épluchant les multiples bafouilles, une conclusion : Captain America, tel qu’il est aujourd’hui, est devenu ce que devrait être un comics de super héros pour adultes, un genre lisible même par ceux qui détestent le genre ou le mec en question. Pourtant il n’emprunte pas le chemin de Watchmen qui caresse son lecteur dans le sens du poil en lui faisant croire qu’il a découvert le radium à chaque page tournée. Captain America 2008 est plus viscéral. Mais je peux comprendre une certaine appréhension.

Soyons franc, pour plein de gens, Captain America n’est pas très ragoutant. Vous aimez les connards qui sortent les drapeaux de leur pays aux J.O pour faire un tour d’honneur ? (tips : moi pas) Captain America, lui, il le porte son étendard, avec une belle étoile sur la gueule. Et un A sur le front. Pour beaucoup de gens, ça fait tié-pi, ça rappellera les comics de propagande des années 40,50. Pourtant, un Cap bien écrit, c’est tout sauf ça. Il y a l’anti-américanisme primaire qui ronge pas mal de gens, et qui voient derrière le perso, comme une forme d’activisme bidon, un peu comme si un des enfants Sarkozy se retrouvait aux commandes d’un robot géant pour protéger Paris et sa très proche banlieue ouest. Totally pas cool. Dans le même ordre d’idée, on ne pourra jamais empêcher les cons de croire que « Born in the USA » de Springsteen est un chant patriotique. D’autres gens arrivés plus sur le tard en comics n’ont en référence que le Captain d’Ultimates, celui qui passe un de ses super potes au Kärcher de flamme. Uncool. Ca peut faire marrer, genre « ha-nelson.gif », mais moi, pas des masses. Ce n’est pas du bon Cap, c’est du fanfic. D’ailleurs le Cap dont je vais vous parler s’autorise des coups de pieds dans le cul mémoriels qui montrent bien qui est dans le vrai. Bref, Cap, si vous ne le connaissez pas, c’est tout l’inverse de ce que vous pouvez en penser au naturel. Ca va devenir vrai dans ce texte, t’entends.

Quelques runs intéressants so far : Kirby & Joe Simon, forcément c’était les premiers, mais bon pour moi the true début sera toujours Kirby. Il y a le très court run un peu espionnage « in your face » de Steranko qui sert beaucoup au Cap de Brubaker. Les années 80 furent marqués par le boulot bref mais exceptionnel de Roger Stern et Byrne, redéfinissant complètement le personnage, ses loyautés, tout en le respectant à 100%. Mark Waid, beaucoup plus tard, écrivit des histoires qu’on qualifierait « d’inspiring ». Il rentre en conflit direct avec l’autorité, le Président etc. Mais s’autorisait des bastons contre Kang, le dictateur spatiotemporel. Même si des crises reviennent fréquemment, on n’avait jamais vu autant Cap contre ses « chefs ». Enfin, il eut pas mal de moments « fuck yeah » en tant que membre et leader des Avengers, trop nombreux pour les citer. Quoique, John Buscema, ça dépoutrait…

Le Cap d’aujourd’hui nous apparait après des années de perdition rédactionnelle. Il s’est démasqué tout seul (après tout, tous ses proches et amis sont morts de vieillesse, plus personne ne risque de dommages collatéraux). Mais il lui manquait des histoires edgy. C’est là que rentre en scène The Bru. Ed Brubaker. Pendant des années, le gus a été celui qui injectait des doses de polar dans ce qu’il touche. Gotham, les trucs indy avec des commissariats enfumés, tout sauf X-men. C’était le mister fixit, utilisant tout ce qui est sale, moche et peu appétissant. Evidemment, quand un mec aussi doué, touche à tout comme lui, se prendre des murs reste possible. Xmen Deadly Genesis était nullache tandis que ses X-Men tout court sont tout sauf impressionnant. Mais mais mais, il est multitâche : il a rendu vie à Iron Fist de manière cool (un blond qui fait du kung fu) et surtout, il a pondu Criminal entre temps, sans doute ce qui s’est fait de mieux dans le genre polar-bédé depuis très longtemps. Les personnages sont tous esquintés, usés par la came, les meurtres, la mafia. Pickpocket, gangsters, putes et maquereaux, tout passe à la moulinette du marasme urbain dans lequel ils sont plongés. Quand un mec se prend une bastos, ce n’est pas un héros, il rampe et c’est moche. A côté Sin City ressemble au « pitre au pensionnat ».Peu d’espoir dans ce microcosme de racailles contre flicaille contre racaille, on est dans le jardin du Bru. Mais quel est le rapport avec Cap ?

La première chose que fait Bru en prenant les rênes du comics, c’est de re-densifier Steve « Cap » Rogers et tous les personnages secondaires. Fan favorite Nick Fury, The Falcon, ils gagnent tous en épaisseur. Steve retrouve Sharon Carter, son amour in & out, on & off et il casual-sex même avec elle, comme si de rien n’était. Mais est-ce que c’est ça qui fait que ce Cap est un comics pour adulte ? Bah non. Bru fait son job et réunit de nombreux éléments, parfois totalement éculés et archi vus. Ils les poussent jusqu’au bout de leur système. C’est lui qui a foutu Matt Murdock en prison, après tout (arc culte).

Sa première grosse initiative, c’est de ramener Bucky à la vie. Comme la plupart des héros nés avant les années 80, Cap a eu son sidekick à lui, son poto adolescent qui servait aux plus jeunes à s’identifier et à faire des blagues malgré les sauts d’obstacles continuels dans les tranchées nazi. Il sert aussi à ceux qui se croient plus malin à disserter sur l’homosexualité sous-jacente, façon Batman-Robin. Ce qui est ridicule, mais permet de faire croire qu’o n a un cynisme pop culturel très fin, pour briller lors des conventions et des conversations dans les boutiques de comics.

Bucky (James Barnes en fait) était apparemment mort dans une explosion qui d’ailleurs a propulsé Cap dans un glacier où il est resté en animation suspendue jusque dans les années 60. Bon, d’un point de vue de fan (et je m’incorpore dedans), c’est un des moments fondateur de la vie de Cap moderne, son « oncle Ben » à lui. Il perd son partenaire, ca le balance dans l’eau froide pour 20, c’est quand même un acte important, au moins autant que l’appel de Cochin de Jacques Chirac. Le problème, c’est que ce n’est jamais vraiment arrivé. C’est un retcon, vendu à chaque fois en flashbacks traumatisants. C’est un point de mythe ajouté post-factum pour faire le lien entre les deux périodes. C’est l’argument utilisé par Bru pour remanier ça et le réécrire de manière intéressante.

So Bucky est vivant, il a survécu malgré la perte d’un bras (ce qui en comics se traduit par un bras bionique). Il a été brainwashé en Union Soviétique avec des marches staliniennes, entrainé par le coach de Laure Manaudou, tout en écoutant des discours de Marie-Georges Buffet. Même un soldat comme Bucky ne put résister à la reprogrammation. Il est devenu le Winter Soldier (fantastique nom de code, s’il en est), résolu de tuer Cap et tout son supporting cast un peu nul de ces dernières années tel que Nomad. Qui en a quelque chose à faire de Nomad, au fait, qui ? Qui se souvient qu’il a eu sa série à lui tout seul ? Enfin voilà, il se met à flinguer tout le monde, en mode sniper comme dans Call of Duty 4. Du coup, Captain America bascule dans un polar tendance guerre froide, avec espionnage et tout le toutim. Le problème des comics dark conspirationniste, c’est que ça commence généralement bien, on voit le héros chatter sur MSN à un mec « qui vous veut du bien » en général sous pseudo Mister Blue et Mister Green et au bout d’un moment, ça bascule dans le péniblement affligeant. Et là, même pas, ça tient la route.

Après 24 numéros mené tambour battant (et a-t-on déjà vu des tambours menant quelque chose sans être battant ?) dont un numéro « House of M » absolument génial dessiné par le monumental Lee Weeks, on bascule dans la tragédie. La deuxième partie de ce run (toujours pas terminé), c’est la mort de Cap. Steve Rogers mord la pouscaille. Une mort de héros, une vraie. RIP. Un sniper isolé + d’autres trucs. Il fait ce qu’il a à faire. Même emprisonné et menotté qu’il était dans un monde post Civil War, il fait bouclier de son corps. Trahi et assassiné, le monde de Cap s’écroule. Sharon, Bucky, Sam (The Falcon), la série bascule dans le deuil. Qui a commandité le meurtre ? Est-il vraiment mort ? Soyons clair : il n’y a aucune vraie idée neuve, tout a déjà été dit ou fait, conspiration incluse, et on imagine déjà ouate mille stratagème pour ramener à la vie Steve Rogers. Mais Bru ne rend pas la tache facile à tous les personnages secondaires de Captain America, devenu tout d’un coup très tridimensionnel face au deuil. Remis de son lavage de cerveau, Bucky ne sait pas exprimer la peine qui le submerge, comme dans ce bar où il se laisse submerger par la colère, seule manière pour lui d’évacuer sa détresse intérieure. Dans cette scène justement, on retrouve la force de la saga « Murdock en prison », aussi écrite par Brubaker (et susmentionnée plus haut). Comme dans Criminals, il sait vraiment parfaitement faire exister ses âmes perdues, sans repères. C’est sans doute la ligne directrice de ses titres et qui fait d’ailleurs que son Uncanny X-men, trop pop, n’est pas à la hauteur de ses polars low-key et de son Bucky.

Le moment idéal pour placer une spéciale pour Steve Epting. Associé à jamais dans mon inconscient avec les pires années des Avengers, il a complètement basculé d’un trait inintéressant de type comics mou de héros random à quelque chose de bien concret. Il a réinventé son style par le noir, un peu comme Brian Hitch, le photo-réalisme en moins.

Troisième partie de ce run époustouflant. Puisant son énergie dans une tradition DC, le sidekick va devenir héros. Bucky va récupérer le bouclier. Il n’est pas aussi bon que Steve, il le sait et modifie son arsenal de combat. Il a désormais un arme de poing au ceinturon, un vrai capitaine. La maladresse dont il fait preuve me rappelle un peu Bond dans Casino Royale dans cette scène brillante : Bond/Craig qui revêt simplement un smoking. Il se regarde dans la glace, ses mouvements sont gauches, il ne se reconnait pas tout à fait. Il n’est pas encore devenu Bond. Et puis au fur et à mesure, ses muscles se tendent sous l’uniforme, il « grow into it », il se fait homme de la situation. Après avoir écrit l’icône, la mort du surhomme, Brubaker nous livre sans doute un des meilleurs récits initiatiques « ever ». Il en profite pour écrire correctement Tony Stark, désespérément badguyisé depuis Civil War. Sam Wilson, The Falcon, l’intime de Rogers prend lui aussi toute sa dimension, jusque dans l’éloge funèbre prononcé pour son ami, complètement off-panel. La peine, le remord, la colère, autant de sentiments récurrents qui surnagent dans ce run très sombre, noir comme un roman russe du début du siècle mais infiniment humain, lorsque les personnages sont poussés dans leurs derniers retranchements. Et arriver à intéresser les gens avec un sidekick mort depuis des années qui revient en soldat coco avec un bras cyborg, c’est juste phénoménal.

Pas fini, mais déjà un classique.