Archive for year 2009

Gran Torino

Clint marmonne un truc. Il te déteste et te regarde comme un félin qu’il va égorger à l’aide de ses mains de septuagénaire. C’est dur de vieillir, de se regarder dans un miroir. On peut passer le cap des 70 piges, sombrer dans le gâtisme, devenir un vieux con ou plus banalement se serrer une gogodanceuse parce qu’on s’croit chaud. Clint, lui, n’a pas peur de se regarder droit dans les yeux dans le miroir, de se mettre à nu et en un film, faire le procès tout entier de sa jeunesse.

Comme un “what if” de ce que serait devenu Dirty Harry aujourd’hui, sur un rocking chair, accompagné de son chien, il fusille du regard les passants, les étrangers, sa propre famille de connards (d’ailleurs, sérieux problème de famille, le père Clint, toujours à dépeindre des cloportes qui utilisent et se moquent, la tribu des assistés de Million Dollar Baby est battue à plate couture), personne ne trouve grâce à ses yeux. Il a fait des choses sales dans la vie, mais lui assume en moujik. Il porte ses couilles. Mais ses voisins, chinetoques ou assimilés, pour lui c’est pareil, se feront emmerder par un gang. Des cousins qui veulent engrainer le petit du tier-quar. Et pour ça, ils foutent les pieds sur la pelouse. Sa pelouse.

“Ever notice how you come across somebody once in a while you shouldn’t have fucked with? That’s me.”

Plus linéaire que jamais, Clint nous balance son récit, l’alpha et l’oméga de ce qu’il a été. Mais Gran Torino n’est pas qu’un film avec un vieux qui en met plein des dents aux lascars et aux gangs, ce qui déjà serait pas mal. C’est un défilé de One Liner de fou, de quotes incroyables, toujours à la limite du Dirty Harry mais sans sombrer dans la caricature. Mais alors, wtf; un film de droite ? Pas vraiment. Plutôt un film d’”homme”, un peu comme Rocky Balboa, un autre vieux qui remonte sur le ring. Viscéral et jouissif.

Un vétéran chanceux

Mon grand-père avait gardé de l’armée un gout pour le visage parfaitement rasé, le résultat d’un cérémonial qu’il me faisait parfois partager. Je me souviens parfaitement de ce matin d’été de mes cinq ans quand, parachevant devant moi son nettoyage de menton, il profita de sa chemise de travail relevée jusqu’aux coudes pour me montrer son bras.

“Tu vois, la balle est rentrée ici et elle est ressortie par là.”

Une blessure comme ça, il n’en reste pas grand-chose 40 ans plus tard. Impossible d’imaginer que ce qui n’était plus qu’une petite aspérité ovale un peu fripée était un souvenir de “Stalingrad”. Un mouvement rotatif de l’avant-bras lui était désormais impossible, un handicap vraiment minimal mais classique chez les anciens combattants. Sans qu’il s’en rende compte, il offrait du rêve pour un môme fasciné par la guerre et l’histoire : il s’était battu au front contre les fascistes (comme on dit pour simplifier en russe), il y a été blessé, il a survécu, il faisait parti du camp des vainqueurs. Aussitôt, il était mon héros. Logique.

Je chéris tous les moments privilégiés qu’il a passé à étayer ses anecdotes de détails. Régulièrement il renchérissait de manière très habile, toujours plus précis mais délicat quand il s’agissait de rentrer dans ce qu’on appelle l’horreur de la guerre. Il était officier, un gradé probablement chanceux vu ses origines, mis là devant de lourdes responsabilités, il avait survécu au front de Stalingrad, il a capturé des espions, les histoires de l’Armistice et la prise de Berlin, sans oublier les embrouilles mortelles avec ses supérieurs, tout ça a été gravé plus sûrement dans ma mémoire que dans celle d’un disque dur.

Finalement, il décida que les bouquins, c’était mieux que l’Armée Rouge. Marqué à vie, il me parlait régulièrement de cette bataille qui a eu lieu « sur un champ découvert», où les russes perdirent des hommes par grappes entières, en quelque instant. Il en a réchappé, encore par chance. Il avait tellement frôlé la mort qu’elle n’était même plus inscrite dans sa feuille de route. Son éventualité biffée, elle n’existait plus.

Il arrivait à me faire vivre toute l’urgence de la guerre et ses moments de tranquillité à travers ses souvenirs limpides. Aujourd’hui seulement, j’ai compris qu’il utilisait les mots que seuls les survivants utilisent.

“A cette époque, la vie humaine… ne valait pas plus qu’une feuille de papier”, me disait-il, les pupilles fixées sur les souvenirs du passé. Jusque dans ses derniers jours, la guerre était encore ce qui alimentait le plus ses souvenirs.

J’ai compris bien plus tard qu’il n’y a pas d’héroïsme là-dedans. Croire que survivre à la guerre incombe à un quelconque talent, à une stratégie bien pensée ou même une force supérieure est une grossière erreur. Sans s’en rendre compte lui-même, Joseph avait une foi inaliénable en sa propre chance. En 1967, sentant la vindicte politique s’abattre sur les siens, il prend les devants et quitte le bloc communiste en emmenant sa femme et deux gamines dans les bras, jusqu’ à Paris, 10$ en poche. Un coup de bol, encore, auquel il a toujours cru, mais déterminant. Après son verre de vodka quotidien, il se souvenait avec malice du temps où ils n’avaient rien en répétant : “Vraiment, de quel pétrin je nous ai sorti, je n’y crois même pas ». Alors qu’il n’en a jamais douté, le malin.

Cette bonne fortune, il en a tellement eu qu’elle nous manque à tous, déjà, à mesure que les jours s’assombrissent. J’espère que sa bonne étoile, là où il est, continue à faire profiter ceux qui en ont besoin. Il en a tellement eu toute sa vie, je suis certain qu’en homme prévoyant, il en a gardé en réserve. Je n’ai même pas assez de mots pour dire à quel point il me manque.

(1919-2009)

Dans les dents !

Dans les dents nordique signé Simonson.

Seul avec une crosse, Skurge The Executionner s’abandonne dans la bataille contre les armées de Hel.

The Spirit

Frank Miller a mis 10 ans pour nous montrer l’étendue de sa folie, sa plongée dans l’abime néo-réac de gauche, quelque part dans un endroit odorant, comprimé entre Ségolène Royal, Mélenchon, Laurent Gerra, Locke de Lost et de Dirty Harry. The Spirit est son objet transitionnel, qui compile un peu tout son savoir faire, tous ses tics, un film somme, alors que c’est son premier en solo. A la fois génie reconnu ici régulièrement Dans Les Dents, et troglodyte insupportable, il fait de son Spirit un vague « Sin City Hors-série ». The Spirit de Will Eisner est un comics qui a révolutionné le genre certainement pas pour son sujet mais par son style narratif et son audace dans les années 40. Impossible à retranscrire en film. Du coup, il fait autre chose, son propre truc. Grosso modo, c’est un Daredevil, tourné sur fond vert à la Sin City, avec des femmes fatales tout plein, le seul gros point commun avec la bédé originale. Scarlett Johansonn même pas très sexy en perverse with fetich nazi uniform, Eva Mendès légèrement vêtue (Maximum airwolf, mon pote !), tout était fait pour caresser le film de série Z dans le sens du poil, mais même pas : Sam. L. Jackson débarque en Waffen SS cosmo-nawak. Véritable sautage de requin artistique prévisible quand on suit avec attention sa carrière en illustré, The Spirit n’arrive pas à chopper le truc qui en ferait un objet cool, malgré quelques passages jolis et un générique de fin vraiment superbe, rappelant la réussite de celui de 300. On hausse quand même souvent les yeux devant un spectacle pathétique pour un fric fou, du fanzine de millionnaire.

Axe de lecture alternatif :

Remplacer mentalement le héros transparent par Matt Murdock, Eva par Elektra, on vire les nazis, L Jackson et on rajoute le Kingpin, le rouge de la cravate devenant un uniforme intégral et on avait un très bon film de Daredevil, bien mieux que le bidule avec Ben Affleck.

avec beaucoup d’effort et d’imagination.

Dans les dents !

Pour la nouvelle saison des coups de mandales robotisées, on commence par un conseil santé de Franck Miller et Mazuchelli :

Adieu 2008 part 2

Ultime rundown de l’année 2008, une année pourrie vous diront les chinois.

L’année de ceux qui qui ont mouillé la chemise pour rien.

Ce fut l’année d’un happening, un come back des limbes:

Tout ça pour nous donner ça en 2009… C’est mal barré.

Et des rencontres qui ont vraiment fait avancer le débat public…

2008 a commencé par un costard à 4 milliards…

Heureusement, on a vu quelques couples heureux, même après l’Euro 2008.

C’est sans parler de l’éclosion de quelques blogs “love love” :

un concert…

Totalement gratuit :

Rrrrrrr

Heureusement, ce fut l’année de quelques réussites comme le sympathique Morsay (qui propose de poser des questions à Luc Chatel, relance de la conso oblige).

Des milliards et une pièce de théatre.

Celle où DSK est devenu présidentiable….

Celle des ex-retraités heureux.

Oui, elle peut supporter la vérité, celle des vrais chiffres, mais l’année prochaine. En attendant, officiellement, on traverse simplement “un trou d’air”.

2008, l’année où les chiens ont gagné le droit d’adopter des êtres humains.

Les films, oké j’ai donné, mais bon, best documentaire de l’année: Patrick Sebastien qui va “jusqu’au bout de la schizophrénie” dans un documentaire narré par lui-même à la troisième personne.

Une année assez nulle en série.

Heureusement, 2009 commence avec Jaaaaa….

Jaaaaa….

2009 sera l’année où l’on ne respecte plus rien.

Et des gens dans la boue.

Il faut parler de comics, c’est l’occasion de revenir sur le Year Zero absolu de Superman. Alors que les gens saluent à tour de bras un Batman qui montre ses dents pour faire le méchant et que Frank Miller sombre dans la folie avec son futur Batman contre Al Qaida tout en hybridant The Spirit et Sin City (j’y reviendrais), Grant Morrison, lui, a réussi un miracle : celui de faire le récit ultime de Superman. Pas évident : il est trop puissant, trop moral, il est plus facile de faire des coups de pieds dans la gueule et d’avoir des résultats plus rigolos. Mais Morrison a une autre feuille de route : en piochant avec sa grosse main dans le bac à jouets des histoires désuètes ou folklorique, il balance le tout en 12 numéros, pas un de plus, et fait le tour de la question. Krypton, son père, les Kent, Olsen, Luthor et Lois, forcément, Lois, une relation formidablement résumée ici .

On a rarement fait plus ambitieux sur la question du super héroïsme depuis les années 80 ou même Christopher Reeve. Chaque pierre du corps du Gollem protecteur est assemblée dans un but bien précis, avec toute la malice qu’il faut pour inciter à la relecture. Frank Quitely, dont le trait n’a jamais été aussi précis et affuté, a gagné ses galons de narrateur majeur, puisant dans tout ce que la bédé compte de Mobïus et d’Otomo, cette énergie brute cinétique intercepté avec la légèreté d’une mine HB. Un exemple parmi d’autres, le numéro 10. Alors qu’il n’a que quelques heures pour se guérir, parler à Luthor en taule, affronter une race ennemi, créer un système solaire et un univers ( !), déménager un peuple sur Mars, sauver Lois, trouver un remède contre le cancer, il prend le temps de sauver une émogoth.

Superman All Star est sans doute une des meilleure bd de Super Héros de tout les temps.

Mon top 2008 sera pour une fois mélancolique. Temps de crise, annus horribilis, Julien Dray, tout ce qu’on veut. Bien sur, on pourrait considérer que le meilleur du meilleur est aussi le lauréat de 2006, traduit par des petites mains ouvrières et bénévoles, comme du café que vous aurait offert une dame tandis que le froid sibérien s’engouffre jusque dans vos bottes en cet hiver de 1943.

Pas un jeu, mais une appli, Ugomemo est la killer apps’ à l’ancienne, celle fournie avec la console, aussi radicale que Tetris à l’époque de la Gameboy Noir et Blanc Dot Matrix.

Comme pour les films, un des jeux de l’année a pris tout le monde par surprise, un crochet dans les dents balancé un jour de Janvier. Smash Bros X. Ce Brawl réunit tout le savoir faire de la compagnie en mode old type gaming. Dès le début d’année, comme pour faire « regardez, on est les boss ». Du plaisir millimétré.

Braid s’offre sans doute une mélancolie la plus poétique, flirtant avec la peur du néant, du rien au milieu du trop grand. Spleen immatériel, il confronte le joueur/héros avec la solitude de l’incompréhension, puisant dans une relation amoureuse dont il est devenu totalement étranger. Et c’est quand tout se termine que tout devient clair.

Enfin, meilleur baroud 2008, Metal Gear Solid 4. Trahi par ses fans qui ne voient plus en lui que le rejeton d’une trilogie boursouflée par ses propres codes et ses ambitions, abandonné de tous les décideurs d’avis annuels, Solid Snake meurt seul, la vie écourtée par l’AVC scénaristique cruel de ses auteurs. Mourir seul, lynché par ses fans, humilié jusque dans sa chair par ses ennemis, le vieux soldat, le vétéran mérite mieux que ça. Pourtant, en 2008, il nous a tout donné, sa tragédie ultime, celle d’un homme qui trouve la force pour donner un sens aux derniers jours qu’il lui reste à vivre. Mon jeu de l’année 2008, donc.

Hé, A Dieu Vat, le mot de la fin ?

Voeux présidentiels

Comme tout bon président, l’état robotique vous présente ses voeux.