Qu’est-ce qu’un homme sérieux ? Du haut de ses mitzvah quotidiennes, Larry Gopnik n’est pas du genre à faire des vagues. Ce prof de physique est gentil, limite bonne poire mais sans doute pas un mensch, au sens shtetl-ique du terme. Et voilà que son monde s’écroule. Sa femme lui annonce qu’elle le quitte pour son pédant ami Sy Ableman. Don fils est un garnement en passe de faire sa bar mitzvah, sa fille lui fait les poches. Et puis il y a son frère Arthur, génie incapable de travailler, complètement gâteux. A la fac, soudainement tout s’écroule aussi. Des lettres anonymes l’empêchent d’atteindre sa promotion tandis qu’un chinois veut le soudoyer pour avoir la moyenne et donc son diplôme. Et puis ses voisins visiblement antisémites. Si seulement il pouvait au moins se taper sa superbe voisine, belle comme une star des films érotiques des années 70, mais même pas. Perdu,  Larry va aller chercher de l’aide chez des rabbins. Il essaye de rester sérieux, et c’est là tout le problème.

Les frères Coen vont puiser leur inspi’ dans leur enfance, dans une banlieue absurde du midwest américain. Le genre d’endroit où tu n’imaginerais pas une communauté feuj. Là-bas, le judaïsme y est moins sexy que Scarlett Johansson ou Jason Schwartzman, moins ingénieux et drôle que chez Woody Allen, moins puissant que chez Phillip Roth. La banlieue pavillonnaire de la fin des 60’s dans toutes sa splendeur. Et pour mettre l’ambiance, un opening feature. Ouais, exactement comme Pixar mais avec de la morale du froid de l’Est bricolée de toute pièce, le tout en yiddish.

Ce qui fonctionne dans A Serious Man, c’est l’universalité de son propos. Et pour cela, pas de mystère, les frères Coen puisent, sans le nommer, dans le Livre de Job. Et comme disait Mitterand, la Bible, c’est le meilleur bouquin du monde à adapter. “Il y a tout dedans”. François n’avait pas tort. Larry est désespéré face à l’infortune qu’il s’imagine venir d’une punition divine. Alors qu’au fond, il a été droit jusqu’au bout.

Coup de génie doublé après un No Country for Old Men incroyable, A Serious Man se permet le luxe d’avoir un des meilleurs quart d’heure de fin du cinéma US, passant du point de vue du fils faisant sa bar mitzvah défoncé au père qui résiste tant bien que mal à la tentation. De la communauté juive du Midwest absurde aux arabes du port de Sète, il n’y a qu’un micro-pas que je franchis, ce qui fait de Serious Man le pendant judéophile au déjà cultissime et arabe jusqu’au bout des ongles La Graîne et le Mulet. Point commun : la réussite d’un grand écart entre cinéma populaire et ultra ambitieux. Un des films de l’année, même sans coups de pied sautés, flamboyant jusque dans sa dernière scène.