Il fait moche, hein, pas vrai ? Mais si, tout le monde le dit.  En plus, le métro reste infesté de cons alors qu’ils étaient tous supposés partir en vacances. Et ton bouiboui chinois qui te faisait ton riz Loc-Lac qui ferme en juillet. Et les hausses du gaz, de l’essence, de l’électricité et du Tropicana Pure Premium… Rassure-toi, le crash financier que tout le monde prédit pour septembre arrive à grand pas pour niquer tes espoirs de retraite.

Je sais tout ça. C’est pour ça que je pense avec une sélection tristesse pour égayer ton été. Robotics ne se consacre pas qu’à la fête des blockbusters de l’été de l’amour. Alors accroche-toi, tu vas te prendre du désespoir massif en uppercut dans la mâchoire.

J’ai rencontré le diable est sans doute le film le plus gai de cette sélection.  Kim Jee-woon est un peu le second couteau du cinéma coréen. Il fait un peu les mêmes films que ses copains mais toujours en moins bien. Dans le genre, A bittersweet life avait à peu près autant de mordant que le gauchisme de Michel Sardou. Alors, après le film de mafieux, après le film de genre (le bon, la brute, le cinglé, méga bof), il décide de faire son Old Boy. Et tant qu’à copier, tu prends le même acteur (Choi Min-sik, génial). Ce dernier joue le rôle d’un psychopathe sordide qui découpe ses victimes. Et un jour, il fait un meurtre de trop, la petite amie d’un agent secret (Lee Byung-Hun).

Il décide alors de se venger. A chaque fois que Choi va essayer de remettre ça, l’agent secret (qui lui a fait avaler un émetteur gps) débarque et le torture chaque fois un peu plus. Avec une sensibilité toute Old Boyienne et ce stamina purement coréen (les mecs sont immortels jusqu’au générique final, même si tu les transperces avec un marteau piqueur).

On lit, ici et là, que le cinéma coréen traverse une mauvaise passe, que son âge d’or s’est terminé avec la fin des quotas de films nationaux. Que, du coup, les studios ne prennent plus de risques, laissent moins de liberté aux artistes. Et puis faut-bien-les-comprendre, ils sortent d’une dictature, alors ils ont flambé toute leur énergie.

Chacun de ces arguments est recevable. Le problème, c’est que pour étayer la moindre thèse, on vous sort Old Boy comme si le ciné us s’était arrêté à Sin City. Puis on vous parle de “J’ai rencontré le diable”. Trop facile.

Il repose sur une idée simple et sadique : le vengeur devient carrément un psychopathe. Qui est vraiment le diable du titre, c’est l’ambigüité, la seule, de cette espèce de torture-porn pas très subtil ni très intelligent mais glauque à souhait quand il ne provoque pas des rires nerveux de part sa grotesquerie, soit sa propre limite. Idéal pour amorcer cette sélection “Summer of marasme”.


 

Bon, je triche. La dernière piste (Meek’s cutoff en v.o) n’est pas siiii triste que ça. Alors, c’est vrai, dans ce road movie période conquête de l’ouest, on ne communique pas trop. On se déteste presque en avançant doucement à travers les USA. Evidemment, on déteste aussi les indiens. Et au milieu de tout ça, Michelle Williams. Que j’aime beaucoup mais tu peux être sur que si elle est dans le film, c’est la garantie d’une ambiance sinistre. Le parti pris, c’est de filmer ce périple et ses plaines arides et désertiques comme un huis clos, à l’image de son format 1.33 assez rare au cinéma et qui donne à la fois le sentiment de cadrer le ciel et de se sentir à l’étroit. Kelly Reichardt avait déjà réussi son coup avec Old Joy (les retrouvailles déprimantes entre deux potes du collège que tout sépare aujourd’hui mais qui partent faire du trekking ensemble alors qui ne se parleront quasiment pas pendant tout le fucking film, une anti-bromance silencieuse), elle refait à peu près le même tour de passe-passe en rajoutant un indien comme menace mais aussi, c’est le paradoxe du film, comme mince espoir du cortège lancinant. Pas triste per see, mais vraiment pas réjouissant.

 


 

 

 

Blue Valentine est encore un film qui pue la tristesse car, hé, Michelle Willams joue encore dedans. Elle est super, d’ailleurs, tout en sinistrose et retenue, devant un Ryan Gosling en mode roue libre actor’s studio qui en fait des tonnes. Et que voilà-t’y-pas que quand je ne casse pas la gueule à un mec, je joue du ukulélé, et puis hé, je menace de me suicider si tu me fais du boudin. Le sur-jeu a trouvé son nouveau maître, épaulé par une crédibilité indy us sur laquelle viennent se coller les macarons Sundance.

Le couple se dissout d’ailleurs dans une machine fatigante du film indé lambda américain qui se regarde filmer deux phases de la vie de ses personnages. La rencontre (jeune) et le divorce (ils sont vieillis, Gosling est grimé en chauve etc). La chose qui fonctionne le mieux, c’est que les deux acteurs sont tellement self-concious de leur propre performance qu’ils s’étouffent mutuellement, exactement l’objet de Blue Valentine Mais franchement, si tu veux de la tristesse, que ce soit celui-là ou un autre de ces films labels Sundance… Comme on dit en Russie, “c’est comme la poussière : y’en a tant que tu veux”.

 


 

Une Séparation est sans doute un des meilleurs films que j’ai vu cette année. Et pourtant, ce n’est pas le plus triste. Attention pitch anxiogène qui va te faire préférer le film de torture coréen : Alors qu’il est sur le point de se séparer de sa femme, Nader engage une aide-soignante (un peu pieuse) pour se charger de son père qui a Alzheimer. Malheureusement, grosse embrouille, il la vire. Malheureusement pour lui, dans la panique, l’aide-soignante, enceinte, fait une fausse couche. Le voilà inculpé de meurtre et menacé par le mari endeuillé. Il lui reste encore sa fille comme soutien indéfectible au dépend de son ex, mais est-ce que ça suffira à convaincre la justice iranienne. Guerre de classe, société stratifiée, une Séparation, c’est une lutte sociale en plus d’un drame sentimental.

Je me souviens avoir lu quelque part un mec se réjouir (et l’écrire quelque part sur internet, tant qu’à faire) sur l’air de “ralalalah tout ce qu’ils ont pris, les Ayatollah”. Une Séparation est bien plus que ça. Il est très dur d’écrire des personnages sans les rabaisser à leur statut et pourtant Asghar Farhadi y arrive avec une classe inouïe, une vraie passion pour son sujet. Evidemment, tous sont pris dans un engrenage assez horrible où la situation ne fait qu’empirer à chaque instant. Et puis pour combler le quota sadness, l’autre enjeu du film, c’est la fille qui finit, elle aussi, par se séparer. Pour schématiser, Une Séparation, c’est le Se7en du divorce.

 

 


 

Et maintenant passons au summum de la tristesse. Plus que la mort de bébé-chiots. Plus cracra que tous les films de cette sélection du désespoir. Arirang est (je crois) une expérience inédite dans l’histoire du cinéma puisque le réalisateur Kim Ki-duk y met en scène sa propre descente aux enfers.

Oui, c’est bien le Kim Ki-duk, le réalisateur star des festivals, le mec à la quinzaine de film (dont parfois plusieurs par an). Le mec de Locataires, de Printemps, été, automne hiver, de Coast Guard… Le marginal, l’autodidacte, l’exacerbé. Mais où était-il passé depuis 4 ans ?

On a la réponse avec cet Arirang, une œuvre autobiographique qui n’est pas du pipo contrairement à I’m Still Here. Au cours d’un de ses tournages, son actrice principale manque de se suicider. Grave trauma, sens confucéen des responsabilités. Kim sombre. Littéralement. Il se retire du monde du cinéma et part vivre comme un clodo dans une cabane quelque part dans la cambrousse reculée de Sud-Corée.

Il se laisse aller, devient littéralement loqueteux (prends ça, espèce de performer de Joaquin Phoenix), et se filme lui-même en DV durant 4 ans. Il chante son malheur (la fameuse chanson Arirrang) et commente sa vie qui dérape. Le matin en faisant fondre la glace, le soir en filant des coups dans son groupe électrogène qui alimente son pc, seul contact avec le monde extérieur. Il  va finir par se bricoler un flingue. Va-t-il s’en mettre une avant le staff roll ? On sait bien que non, du coup, cette espèce de chantage au suicide diminue la portée du film mais pas son intrinsèque tristesse. Alors que ce genre de démarche fleure un peu l’égo-pipo-toxico, Kim Ki-duk arrive bien à faire sentir son extrême détresse, même à ceux qui n’ont aucune idée de ce qu’est la vraie dépression. Il souffre abominablement durant deux heures, nous rendant témoin de la torture qu’il subit, en mode full frontal. Rarement a-t-on vu quelqu’un d’aussi triste dans un auto-documentaire.

Sans une pointe d’humour, pathétique, Arirang est le film indispensable d’une bonne sinistrose, un symbole crépusculaire du ciné coréen actuel. Prix Un certain Regard à Cannes 2011, sa sortie en salles n’est pas encore programmé en France. Mais je suis persuadé qu’un distributeur a flairé le bon coup, le nez sous la bruine de juillet.

 


Et je vous fait grâce de Melancholia.  Allez, les aminches : enjoy.