Cinématographe

Still Life

Still life est un « quasi » docu-fiction bouleversant quand on se rend compte qu’il raconte un monde qui va bientôt disparaître. Un vieux chinois (pas très beau, ce film est tout sauf « sexy ») part à la recherche de son ex-femme et de sa fille à Fengje, une ville qui sera engloutie une fois que le barrage des Trois Gorges sera construit. C’est comme ça, avec la Chine, on peut administrativement détruire une ville, on biffe un papier et hop, c’est fait. On voit dans la ville une ligne affichant le point où arrivera l’eau et les travailleurs se pressent pour démolir les immeubles, histoire de gagner quelques ronds. Le vieux fera ce travail exténuant, sous le soleil. Le labeur ouvrier atteint ici un summum de la pénibilité à l’écran, on vit la tâche avec le mec qui sue à grosse goutte et le réalisateur Jia Zhang Ke n’hésite pas à allonger son film en longueur pour bien faire comprendre l’enjeu. Un film sensuel et puissant et difficile à supporter, qui pose de vraies questions sur les méthodes administratives de gestion du monde.

Eastern Promises (Les Promesses de l’ombre)

Un film sur la mafia russe, mais principalement joué par un anglophone qui, à priori, n’en parle pas un mot… Ca fait peur au russophone que je suis. Viennent des images de type José Garçia qui vous fait le rital/l’espagnol/le séfarade/le portugais avec la même intention, en parlant fort et avec les mains. “you’ talkin’ to me ?” Viggo est quand même bien au dessus de ça. On sent qu’il n’est pas ruskof mais son intensité de jeu est stupéfiante. Il incarne dans Les Promesses de l’ombre un homme de main d’un gros mafieux russe qui fait du biz’ dans la prostitution à Londres. L’infirmière jouée par Naomi Watts (miss blonde type, interchangeable et pourtant totalement convaincante) donne vie à un bébé. Pas de bol, la mère, droguée, tabassée et sans doute prostitué meurt juste après. Elle tente à sa manière de remonter la filière et fera donc la rencontre du Viggo susmentionné. Tout en muscle, le regard perçant, il sert encore une fois Cronenberg, dans ce qui a l’air d’être un film de commande, ne se gène pas pour faire quelques scènes fantastiques, manipulant son acteur dans tous les sens, une vrai symbiose. Au passage, Cron’ s’offre une scène de baston d’anthologie, juste avec 3 mecs dans des bains turcs, sans CG, ni trolls ni robots qui volent en cassant des villes. Pourtant la violence y est foudroyante, comme un pic narratif atteint dans History of Violence par la scène de sexe, elle aussi renversante. Il a sa vision et l’étale avec un savoir-faire de fou, un montage millimétré qui ne laisse pas de place à l’ennui. Il ne se cache même pas de faire du cinéma de genre, avec un final en moto à la limite du jeu vidéo et de la série B. Vincent Cassel joue la folie nerveuse, un rôle qu’il potasse depuis des années et qui semble ici parfaitement cohérente tant l’homosexualité refoulée de son personnages se sent à chaque plan. Moins profond qu’History ? Plutôt une variation ultra réussie sur le même thème.

Ghost Rider

Ghost Rider aurait pu concourir dans la catégorie meilleur film des années 80 si 20007 ne fut pas l’année Balboa. Du coup, il se ramassera les miettes. Nick Cage fait l’effort surhumain de sourire à la caméra. Le geek de 40 ans a enfin l’occasion de s’amuser avec les jouets de son enfance. Du coup, beaucoup de scènes sont à se bidonner avec ses gros rictus caméras dans une nonchalance générale. Les méchants sont un assemblage de ce qui se fait en ce moment en junior-goth façon Buffy, jamais très sérieux ni très menaçant. Mephisto (Peter Fonda ! le Easy Rider !) lui même cabotine gentiment, façon Evil Christian Clavier. Eva Mendès joue son rôle d’avant We own the night, la bimbo standard, plot device type de la nana qui va se faire enlever/devenir le point faible du héros. Néanmoins il y a une ou deux bonnes scènes, notamment celle qui fait un peu le lien entre le Ghost Rider 70’s et le Spirit of Vengeance d’aujourd’hui. Pas mal senti. De l’action movie popcorn, moins honteux que Daredevil, profondément inoffensif, calibré à 50%, sans doute abominable pour le non-initié. L’avantage, c’est qu’on n’y sent pas de cynisme hollywoodien type à la Elektra, un peu comme un film amateur de plusieurs millions de dollars bricolé le temps d’un été. On ne peut qu’approuver.

Note airwolf sur 5:

We own the night

2007, l’année du film de gangsta’. “C’est beau, une ville de mafieux, la nuit”. C’est d’ailleurs la nuit le personnage le plus important. Mais attention, ce n’est pas Michael Mann, le mec le plus doué au monde pour filmer la nuit. Non non, James Gray filme la night, les soirées, les clubs, de manière à les rendre ultra sexy. Déjà dans the Yards, il y avait cette scène de club avec Charlize Theron qui exciterait n’importe quel sens (bien sur, avec elle, on part sur de bonnes bases) mais c’était plutôt à sa manière détachée de mettre en scène le futile de manière attirante. Pas d’esbroufe ni de bling bling, juste qu’il faut. Bobby (J.Phoenix) est le patron de ce club branché et kewl où se deal pas mal de came (encore un réseau de russes, forcément, ils sont partout). Son père et son frère s’apprête à faire une descente et le prévienne. Pour ça, ils le trainent jusqu’à la soirée « spéciale flic » et finiront par lui faire la morale, détail important, dans une église. Super tension patriarcale à la clef, il s’en fout, il préfère retourner s’occuper de ses nuits, de sa coke et d’Eva Mendez, chaude comme la braise et bien mieux utilisée que dans…. Ghost Rider ? Forcement, ça va déboucher en conflit familial et pour Bobby ce sera une grave remise en question, très théâtrale. Whose side are you on, comme on dit dans la jungle urbaine. Malgré cette opposition Ying-yang classique, We own the night est très loin d’être manichéen ou pro-flic. Etre flic, c’est quand même moins fun que ce qu’il fait. Lui se came à tout va, sa nana est sublime tandis que celle de son frère l’est carrément moins et en plus on se fait flinguer pour pas un rond sur le pas de sa porte. Comme dans The Yards, la réalisation est encore une fois millimétrée, avec un souci fou du détail. Faudra juste pas trop faire attention à une fin torpillée un peu vite : je veux bien croire que ce n’est pas excessivement difficile de devenir flic, mais qu’un bête qcm et un passe-droit suffise pour aller casser du mafieux, même le Droit de Savoir n’utiliserait pas de tels raccourcis.

Paranoïd Park

Gus Van Sant est énervant. A force d’expérimenter, des tripatouiller, de mettre sa caméra sur un skate, on ne sait plus à quoi s’attendre et au final on retrouve un peu toujours les mêmes films, les mêmes sujets, parfois les mêmes plans, mais dans des contextes différents. Paranoïd Park ne change pas cette habitude, véritable reflet inversé de ce qu’a été le génial/horripilant Elephant. Un jeune gus qui fait du skate tue par accident un mec sur la voie ferrée. Tout se mélange, l’avant et l’après, pour mieux retranscrire la solitude du môme (toujours superbement filmé, c’est agaçant ces minets qui impriment vraiment bien leur gueule à la caméra), un peu comme dans Last Days. Tout comme dans ce dernier, il ne se passe pas grand chose, mais chez Gus, le moindre truc anodin peut devenir sidérant de justesse. Ca doit vraiment dépendre de comment il est luné ou de ce qu’il prend au petit dej’ car c’est très aléatoire. Le top de la finesse tient dans les rencontres du gamin avec son père et sa mère. Plans serrés, adultes à peine visible, corps flou tandis que le garçon reste le seul parfaitement visible. Les dialogues n’ont plus d’importance, tout est dit dans le cadrage et le placement des acteurs. Sans doute une des scènes les plus bouleversantes qu’on ait jamais filmé sur le sujet. Brillant et agaçant, Gus, je t’adore quand même.

Coeur de Hommes 2

Après le ridiculissime Toute la beauté du monde, on passe maintenant à l’étape “Cœur des hommes 2″, au positionnement marketing clair : un film romantique que les mecs peuvent aller voir « parce que ça parle d’eux ». Enfin faut voir. L’original avait une espèce de fraicheur, circonstance atténuante à son beaufisme, une sorte de « one shot » dans l’air du temps. Mais déjà, un 2 dans le titre, pour un film sans explosion et menace nucléaire, ça fait immanquablement penser aux Bronzés 3. Bonjour l’ambition artistique. Cette suite est aussi atteinte par le phénomène sociologique dit syndrome visiteurs 2. Le mec qui a eu un succès sans comprendre vraiment pourquoi (ou peut-être en réfléchissant trop ?) aligne une suite à la limite de la parodie du premier opus. Logiquement, on retrouve quelques scènes clefs, genre la pétanque, les paris du loto sportif dans la cuisine, les pieds dans l’eau dans la piscine sur fond de musique sans risque tiré d’une playlist “hits & love” d’itunes. On est à la limite du film franchise, la suite clef-en-main. Même les acteurs sont la caricature d’eux même. Darroussin cachetonne littéralement en récitant robotiquement son texte (comme dans “toute la beauté” d’ailleurs) pendant que Marc l’avoine et Gérard darmonne (à quoi sert sa femme dans le film, si ce n’est pour teaser l’intrigue d’un épisode 3?). Nageant dans un machisme qui met mal à l’aise, repoussant les femmes aux limites de l’intérêt purement sexuel, on assistera quand même à un revirement de situation si peu plausible qu’il fait passer celui d’Anakin Skywalker pour une finesse actor’s studio. Cette tranche de vie de mecs se termine bien, de manière aussi sirupeuse qu’ubuesque, comme un témoignage pour rappeler que les happy-end sont la marque des auteurs paresseux.

Les climats

Attention, ça va dépayser. Les Climats de Nuri Bilge Ceylan est un drame amoureux, un voyage romantique et sensoriel turc, très loin de tous les clichés. Iklimler, avec son image HD travaillée à mort, demande pas mal d’engagement pour sa lenteur, pour un amour flou, à cause du malaise qui prend souvent le spectateur. Malheureusement, le film souffre aussi d’un gros défaut, celui d’avoir proposé une bande-annonce absolument sublime, une espèce de concentré d’intensité folle et muette à la fois, qui n’a pas grand chose à voir avec le résultat final. Du coup, on est semi-déçu dans la salle. Alors si youtube lui rend justice…

Time

Les coréens et le cinéma en puissance, suite. Time est le treizième film du stakhanoviste Kim Ki Duk, qui réalise plein pot, limite à la chaine. Seulement deux en France cette année. L’histoire qu’on peut qualifier de typiquement coréenne car « too much », est une espèce de love story aussi excessive que Old Boy, moins la violence gratuite. Une femme turbo dépressive et jalouse décide de séduire à nouveau son compagnon après s’être infligé une chirurgie plastique massive. Genre on y croit. L’histoire va prendre une tournure encore plus improbable quand le gus en question va comprendre le tour pendable qu’on vient de lui faire. Un pitch absolument fou sur papier, et pourtant, la magie made in Séoul fait son effet. D’une bluette trash, Kim Ki Duk fait un film puissant et touchant, dans la lignée de Locataires. Cela tient sans doute à cette faculté à tout filmer au premier degré mais avec délicatesse.

Le Vieux Jardin

Le Vieux Jardin est l’œuvre du même réalisateur que le déjà génial President’s Last Bang (Im Sang-soo). Je ne vois qu’une explication plausible à la qualité du cinéma coréen : ces mecs sortent tous de dictature et ça leur a filé une soif intense de créer. Ce vieux jardin, c’est celui qu’un opposant au régime coréen d’alors choisit, chez une prof d’art, dans un bled reculé et champêtre. Evidemment, nait une idylle, un de ces amours à l’asiatique, très feutré, où tout est dans les non-dits, dans les silences et dans cette manière magnifique d’avoir le regard perdu dans la même direction. Elle le lave, il range et fait la vaisselle, ils font la cuisine, vont pique-niquer, mais bien entendu, le drame de ce pays finit par les rattraper, même dans cette petite bourgade perdue. Là où le savoir-faire sud-coréen rentre en jeu, c’est dans ce mélange de fresque politique et d’amour, un peu à la manière des chinois et des japonais jusqu’à il y a 10 ans. Perfection du cadrage, acteurs absolument sublimes mais la question reste entière : mais où les coréens trouvent-ils la force, avec des sujets aussi classiques, de faire des films aussi puissants ?

Soredemo boku wa yattenai

Masayuki Suo est le Terence Malick japonais : pertinence et rareté. Une toile tout les 10 ans, ce qui n’est pas un luxe vu la qualité globale de la production nippone de ces derniers temps. Cette fois ci, il s’attaque au système judiciaire de son pays.

En général, les vrp du Japon sont des néo-convertis qui essayent de nous pitcher le pays comme un eldorado du gadget, de la vie à la cool et des chiottes bioniques, son cortège de conneries destinées à faciliter le quotidien, et en filigrane, une vie passivement consumériste, un nirvana sécurisé, voire sécuritaire, encadré par des voix enregistrées qui vous rappellent de tenir la rampe de l’escalator. Pour beaucoup de gens, le système judiciaire est comique, aussi affûté qu’un avocat pointant du doigt la vérité. On en est loin, très loin.

Cas d’école basé sur une des multiples histoires vraies : Teppei se fait arrêter pour avoir peloté une fille dans le métro. Le big truc, là-bas. Enfin, il n’a rien fait, c’est impossible, il avait les deux mains prises. Enfin il se fait arrêter quand même. Le système, basé sur l’américain, pousse à avouer sa faute et trouver le compromis de l’amende, le fameux plaidé coupable. Mais le gamin, véritable Meursault nippon, refuse, car il n’a vraiment rien fait (le titre du film). S’en suit une ribambelle de faux témoignages, de parjures et de vices de procédures dignes des pires pays dictatoriaux. La police, le tribunal ils ont tous forcement raison, puisqu’il est en taule. Si vous vous faites arrêter, c’est qu’il doit y avoir une raison derrière ça. Un camarade m’a un jour conseillé d’éviter à tout prix le moindre pépin judiciaire au japon, La justice, là-bas, est un peu à l’image de leur médecine. Elle soigne le mal, mais pas la douleur.