Secret Invasion

L’alternance pour moi, c’est d’écrire un article positif, puis une casse. Comme ça, feng chouilli, karma et compagnie. Il y a énormément de trucs bien qui mériterait un éclairage robotique, mais là, Secret Invasion me saute à la gueule de part sa construction « deux ans d’âge mental ». Pourtant des crossovers nuls, on en a lu depuis les années 80. Avant Secret Invasion, il y avait tout un travail d’infiltration pour nous faire comprendre que wow c’est grave, les extra terrestres sont parmi nous et depuis longtemps. Enfin depuis longtemps, faut voir. New Avengers, ça remonterait à 40 numéros, mais il s’est passé quoi durant ce temps ? 4,5 aventures ? Pas beaucoup plus. Mighty, c’est pire encore. Depuis les deux titres servent à exposer des points aussi important que l’alliance entre Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg lors des universités d’été du PS, mais bon on y reviendra. Il y aura beaucoup de “et on y reviendra”.

On ne peut non plus se lancer dans Secret Invasion sans évoquer House of M, précédent gros crossover signé Bendis, « l’artisan ». Après 1 numéro d’intro, on est tombé dans un elseworld ultra décompressé qui se passe dans la tête des héros dans une vie alternative (vous voyez), avec une Layla Miller (rien à voir avec le personnage ultra attachant qu’on connait aujourd’hui) qui rendait la mémoire aux X-men et aux Avengers présent dans cette bouillabaisse. Deux cliffhangers identiques (la tombe de Xavier, symbollzzzz), Quicksilver opportunément utilisé comme bad guy. Vousvoyez, c’est le fils d’un criminel de guerre, c’est forcément un méchant. Et puis le fameux « no more mutants », pas vraiment bien utilisé par Marvel pour rediriger ses X titles, en roue libre complète (on en était encore alors vers le 4 ou le 5eme d’Astonishing, plus de 3 ans déjà…). House of M, malgré son très joli dessin de Coipel a vraiment été pénible à cause de son contenu mais surtout de son tempo. Secret Invasion souffre malheureusement des mêmes stigmates, transpercé continuellement par son manque d’idée et par sa gestion du temps absolument catastrophique. Et au moment où ces lignes sont tapées, on en est au numéro 6 de 8, à 4 dollar pièces. Entrons dans les détails. (dernière chance pour relire l’intro ici)

Le premier numéro commence par Stark qui montre le corps de la fausse Elektra skrulisé à Pym et Reed Richard. Comme un air de déjà vu ? Bah ouais. Les new Avengers l’ont vu et ont eu le temps de disserter 4 numéros autour du cadavre. Puis Stark l’a montré à Reed et aux autres Illuminatis, ce qui a forcé le faux Black Bolt à se découvrir. Euuu pourquoi d’ailleurs ? Il aurait tout aussi bien joué l’incrust’ et joué la parano mais non. Tout l’angle pré-secret invasion repose sur la même chose que Battlestar Galactica depuis 4 ans : “qui sont les Cylons ? Sont-ils parmi nous ?” Alors pourquoi diable se découvrir ? Le pouvoir des Skrulls, c’est de prendre n’importe quelle forme, et là c’est pire, ils sont indétectables. Comme un jeune Giscardien dans la rue. Mais l’heure a sonné de faire le gros crossover du printemps (on est en septembre là). Bliblip fait l’alarme, un jet Skrull (justement) s’est écrasé à Savage Land. Oh joie. Savage Land, pour les non initiés, c’est là où on envoie les Xmen quand on ne sait pas trop quoi faire avec eux. C’est ça ou l’espace Shi’ar. C’est loin, mais il y a des dinosaures. Les New Avengers, très pressés d’aller dans ce trou du cul perdu où ils se sont déjà retrouvé à poil (N.A N°4) volent un Quinjet. Facile à faire, ils balancent du papier tue-mouche sur Black Widow justement de garde et se cassent avec. Un truc qu’ils ont pécho dans un album de la Ribambelle, pour les amateurs de bédé franco-belge.

Ils arrivent, suivi par les mighty, soudain, boum, Windows Vista édition Iron Man crashe, et tout se pète la gueule. Jarvis, le majordome est un skrull, tout comme Dum Dum Dugan, Hank Pym et Sue Richard dont on devine que le remplacement ne date que d’il y a quelques minutes sinon ça va faire de grosses traces de continuité.

Mais Jarvis. Sérieusement, imaginons que vous essayiez d’envahir… mettons la Suisse… ou mieux la Belgique, vous choisiriez la dame pipi du roi des belges comme haut point stratégique. C’est ça qu’ils préparent depuis des années ? J’ai envie de dire zyva, tu prends Iron Man, Captain America, Cyclops, Wolverine mais déjà fait enfin un mec qui était dans un des jeux de baston Capcom. Un puissant quoi. Même Iron Fist, parce qu’il fait du Kung Fu et que c’est cool. Pendant des mois, on nous a collé des couv avec tous les persos Marvel (TOUS) avec un menton Skrull, que ça fait vachement peur, pour au final avoir Jarvis, Dum Dum et Pym ? Jeeez, quel newbie se souvient encore de l’importance de Dum Dum quand il faisait le garçon coiffeur qui servait de fronton à la base Shield la plus classe du monde. Un fuckin’ salon de coiffure ! Shield, retenez bien, on y revient plus bas.

Maintenant qu’ils sont tous à Savage Land (ils ont même pris Spider-Man parce qu’il avait un peu de temps devant lui), le Jet s’ouvre et sortent des super héros, mais en version plus vieille, époque Secret Wars. 80’s. Pas besoin d’être un devin pour comprendre que c’est des Skrulls. D’ailleurs on le sait dès le même numéro. Quel est le suspense ? Aucun. Mais la stratégie est simple : pendant qu’ils sont à Jurrassic Park, les MECHANTS ATTAQUENT NEW YORK. Mais à quoi ca rime que les gentils comprennent que les faux héros sont des skrulls 5 mn après ? C’est aussi le problème du crossover : un numéro dure 5 mn en temps réel. Sans exagérer. Deux remarques d’importance : combien de temps les skrulls croyaient-ils que les héros allaient rester là bas ? Le temps de faire des Knackis au feu de bois ? Parce que ça dure jusqu’au 5ème numéro. Hawkeye croit retrouver sa meuf décédée, Sentry est traumatisé par 3 phrases du faux Vision (hop un deus ex machina pour plus tard), tandis que Spider Woman (une skrull en fait) essaye de faire croire à Stark, en pleine crise intestinale depuis son virus, qu’il est un skrull aussi.

Leinil continue à dessiner les cases à l’envers en mode manga. Ici Sentry est en bas alors qu’il est, la page d’avant, dans la dépression spatiale. A noter les dialogues de Hawkeye. Hut !

Les autres se battent, jusqu’à ce que (je me permets de faire un saut dans le temps) Reed Richards, momentanément capturé, revient avec son gogo gadgetopistolet qui a le pouvoir magique de débusquer les imposteurs. C’est comme la machine à faire le beau temps dans les Schtroumfs, on sait pas comment ça marche, ça débarque, comme ça, un volume, mais c’est bien pratique. Pendant ce temps, pour sauver les Young Avengers et ce qu’il reste de l’Initiative à New York, débarque les Secret Warriors mené par Nick Fury qui n’était pas apparu en public depuis genre fin 2004. A l’époque, Gregory Lemarchal gagnait la Star Academy, la DS sortait dans le commerce et Yasser Arafat mourrait. Ca fait un bail. Ses Secret Warriors, c’est une bunch of nobodies recruté pendant son absence : Quake. Phobos. Yo Yo. Druid. Hellfire et Stonewall. Un pseudo déjà utilisé par un keum chez Claremont. C’était ça son plan ? Entrainer des mecs pour débouler avec des gros guns qui font pitié comme dans les années 90 ? C’est nul mais admettons. Enfin même le gus qui fait la couv suivante s’en fout, il met en scène Fury avec les young Avengers. Ils repartent d’ailleurs dans leur base secrète, pouf.

Mais où est passé fan-favourite Yo Yo ?

Les méchants regardent la scène de la fenêtre et se disent qu’un monde sans autoradio à chouraver, c’est vraiment moins drôle. Mais le plus excitant et intriguant, c’est le cliffhanger du numéro 4, la moitié du cross : Kraaakoum fit le tonnerre, foup le bouclier étoilé. Thor. Captain America. On se dit ouais, enfin un cliff pas mal. Bah pas la peine d’y songer, on ne les voit pas dans le numéro suivant. Y’avait pas la place. Déçu ? On y reviendra.

Un dialogue riche.

Le numéro 5 montre l’agent Brand (vous savez, la nana aux cheveux verts d’Astonishing) qui libère Reed Richards.

Woof

Ils bikravent une navette spatiale skrull aussi facilement qu’un Cayenne dont ils ont changé les plaques, filent sur Savage Land et Reed utilise son pistolet magique sur les skrulls. C’est trèèès bête mais au moins ça a le mérite d’en finir. Mais pourquoi ne pas avoir tué Reed ?

Spotlight sur Mighty et New car ça le mérite. Deux numéros de Fury qui se rend compte qu’il y a des Skrulls, un autre où il monte son Power Pack puis on passe à Khoi Pham qui dessine mochement. Un numéro pour nous montrer que les Skrull comprennent que Sentry est un peu maboul (noooon sans blague), un autre où on voit Pym qui se fait kidnapper et aussi comment la fake Elektra intègre the Hand. 5 numéros de Mighty. Une idée par numéro. UNE SEULE ! Des trucs qu’on n’a pas besoin de savoir en fait. Mais New, c’est PIRE. Le talent de Cheung est gâché pour une histoire de reine Skrull. Bon oké. Admettons. On voit aussi les skrulls faire de faux cobayes des Fantastic four pour voir « leur réaction », comme des rats de labo. Puis c’est Billy Tan au dessin… On apprend ce qui s’est réellement passé dans le numéro 4 de New Avengers. Des skrulls, l’auriez vous deviné ? Non ? Bah 24 pages de plus pour le surligner au stabilo. Puis Cheung à nouveau, le pauvre, pour nous expliquer ce qui s’est passé dans New Avengers 1, 2004. Je vous le donne en mille: des Skrulls. La fausse Spider Woman a payé Electro pour faire Prison Break. Puis re Billy Tan pour nous montrer comment ils ont fourré ces faux héros dans le jet qui s’écrase au début du cross over. Aviez-vous besoin d’autant d’explication ? Who needs that shit ?!

Allez encore une dose : Mighty Avengers 17, c’est les skrulls eux même qui se battent entre eux : Pym Skrull est aussi cyclotimique que l’original, et donc, tel Chevènement, il se rebelle. Forcément, ils le tuent. 24 pages de ça… Mais le pire du pire est atteint par le dernier New Avengers. Les skrulls se bricolent des faux Reed Richards, qu’ils manipulent pour mieux l’imiter, le comprendre et prévoir ce qu’il va faire. Ils le re torturent, tuent, re torturent, l’analyse, tuent sa famille devant ses yeux, tout ça comme des savants. Donc on admet qu’ils le redoutent, qu’ils savent ce dont il est capable. Alors retour à la question précédente : POURQUOI L’AVOIR ETUDIé PENDANT DES ANNéES pour ne PAS LE TUER quand l’occasion s’en présentait ? Pour qu’il se libère et fabrique un piou piou magique. C’est pas logique. Genre 12 comics et plus et c’est pas fini. 12 numéros de vide intersidéral à ajouter à un crossover lentissime. Et surtout, ce dernier numéro où le Reed se fait torturer pendant 20 pages… bah j’ai été pris, comme un vieux con, de regret. Roy Thomas. Roger Stern. Perez. Byrne. Kirby. Stan Lee. Fuck quoi. On aimait quand les Avengers, c’était Cap, Iron Man, Thor, Hawkeye, Vision, Hercules, même Black Knight, Captain Marvel. Mais un fake Reed qui se fait torturer, pour m’apprendre quoi, que les Skrulls sont bêtes et cruels, mais calculateur ? Bah désolé, je préfère lire les cahiers saumon du Figaro.

Bouclons ce tour de piste : Secret Invasion 6 : Wasp ose susurrer un « comment auraient ils pu faire autant de mal à New York en si peu de temps ». Biatch, j’ai payé 3,99 dollar fois 6 pour ton crossover mal timé. On a droit à… une grosse splash de la ville en feu… On va finir par le savoir que New York is on fire depuis day one ! C’est comme si NTM nous chantait aujourd’hui que c’est l’urgence dans les banlieues, alors on le sait depuis le fucking premier album. On a droit à une scène de citoyens qui accueillent les Skrulls comme des sauveurs.

Shape-shifting alien dick, mmmm, collaborons…

Vous savez comme dans V ou dans Indepedance Day, les premiers à cramer. Pour le civil, on a Secret Wars Front Line, on aurait pu avancer de deux trois pages, mais on est plus là. A la fin du numéro, Captain America et Thor se rencontrent. « tiens c’est toi ? T’as changé ? » et l’autre répond « wesh gros , t’étais pas mort au fait ? ». Je caricature à peine. Et c’est TOUT. UNE PAGE. C’était pour les mecs impatients du cliffhanger en plan depuis le numéro 4. Mais comment peut-on appeler ça du bon tempo ? Viennent les deux doubles spread finaux, où tout les héros s’unit comme dans un film de Mel Brooks : Iron man, Thor, Venom, Spider Man, Norman Osborn. Mais c’est pas très réussi. Le style crayon tchic tchic de Leinil Francis Yu est loin de rendre aussi bien que… Perez, au pif. C’est “mouaif”, quand il dessine pas des cases à l’envers. Mais il case un Howard The Duck. Cool hein ? Chacun de ces spreads, on a un peu l’impression d’en avoir vu 120 comme ça, comme ses ninjas fights sans fin époque New Avengers.

Mais par dessus tout, vous l’aurez compris, ce crossover est déjà un puissant échec narratif. Il ne reste plus qu’une seule voie pour s’en sortir : un final pas trop nul. Mais vous connaissez Bendis. Il a foiré de super arcs de Powers avec des fins nuls. House of M, ils se sont claqués la bise et puis bye. Daredevil, sa meilleure fin, c’est celle qui lui a été soufflé par Brubaker pour bien commencer son arc à lui. Du coup je regrette World War Hulk, Annihilation, les trucs qui balancent, qui jouent avec les codes mais surtout surtout qui ne nous font pas perdre notre temps. Secret Invasion, c’était quoiqu’il arrive, une perte de temps pour un fric fou.

Et surtout, quel nom de crossover pourri: où est LE SECRET quand on envahit le monde avec des navettes spatiales géantes et qu’on préfère se battre sur un champ de bataille alors qu’ils peuvent se planquer dans n’importe quelle ruelle et passer inaperçu en se faisant passer pour le premier François Hollande venu ?! Ca n’a pas de sens ! Il est très possible que cette nullité soit prouvable médicalement parlant.

Gomorra

« La science dans la rue, c’est de savoir prendre des raccourcis » nous mitraillaient le flow d’Ärsenik. En ne choisissant pas cette voie, Gomorra a opté pour la difficulté. Tout y est non-sexy, cracra, en ruine ou au mieux, à l’abandon. La Camorra contrôle tout. S’entremêlent quelques personnages sans aucun rapport si ce n’est qu’ils sont à différentes extrémités de la chaine. Un jeune qui va se faire engrainer, le vieux qui creuse des trous pour y jeter des ordures, un couturier pris dans la machine et puis surtout 2 guignols gangsta’ wanabees dont on se dit à chaque minute qu’ils vont se faire victimer comme dit Rohff, autre expert en street survie. Problème, on relate pas forcement. Aux ritals, hein, pas à Rohff.

Violent, Gomorra surnage avec son côté caméra à l’épaule grâce à quelques moments plus intenses, plus touchant, où les personnages représentés finissent par devenir tridimensionnel (le final du couturier et du rapace de la finance, sublime). Monté en suivant une rigoureuse check-list, cette F.A.Q de la mafia, malgré ces petites envolées bien senties, a trop des allures de docu touche à tout pour devenir un bel objet ciné. Mais y’a vraiment de l’idée.

Dans les dents !

Il y a 16 ans et des poussières (4)

Valse avec Bachir

Valse avec Bachir aurait pu être un de ces dessins animés moches et tristes sur la guerre comme on en a déjà vu pas mal. Mais sa construction habile autour de la réminiscence d’un soldat (le réalisateur), de la manière dont il a refoulé les massacres de Sabra et Chatila. D’emblée, on va écarter le propos ayant pour trait l’animation. Lui ouvrant les portes d’un public beaucoup plus large (la plupart des spectateurs de Bachir venu de la japanim’ ont-ils jamais vu un seul film en hébreu de leur vie ? Paf, dans ton ouverture), il s’exclue néanmoins de toute formulation documentaire pendant 2 heures, jusqu’à ce que des images d’actualité interviennent, tout comme dans « le cahier » (film irano-afghan sorti cette année, critique à venir ici quand y’aura le temps). La durée, parfaite compte tenu du contexte de la lutte pour recouvrir la mémoire, rend encore plus douloureuse cette claque du retour à la réalité. Ari Folman, le réa /auteur/personnage principal, part à la recherche de ses compagnons d’armes, désireux de faire la lumière sur des cauchemars qui le hantent depuis qu’il a servi au Liban.

Une critique revient régulièrement : certains (vous savez, ces discussions de fin de soirée où le ton monte un peu) y ont vu une tentative de dédouanement de Tsahal. Ce qui ne m’a pas l’air d’être le cas. Au contraire Ari, tout comme dans Beaufort, évoque son impuissance, lui et celle de ses camarades. Que le procédé d’Ari, réel ou pas, importe peu, il a absolument le droit de s’autofictionner. D’autre part, j’ai pu constater ce refoulement, processus un peu extrême mais classique chez les survivants des tragédies des soixante dernières années. Des horreurs que les gens de fin de repas ne se rendent pas forcément compte. On est puceau de l’horreur comme on l’est de la volupté. Envoutant jusqu’à l’hallucination, cette fameuse « valse », instant d’envoutement et sans doute un des plus grands moments de films de guerre panthéiste depuis Thin Red Line, Valse avec Bachir avance consciencieusement avec une vraie pâte Mallickienne doublé d’un vrai discours politique remettant en cause l’efficacité de Tsahal. Contrairement à de nombreux pays, c’est de l’intérieur qu’Israël se critique, comme une réponse à un pouvoir politique inanimé. Le contraire de Valse avec Bachir, une critique d’un genre nouveau. Bravo.

Dans les dents !

Cyber Lenine dégommant Mecha-Staline dans Dance Kremlin Palace. Priceless.

Les Sept Jours

Les Sept Jours symbolisent la période de deuil obligatoire que mènent les juifs à la mort d’un proche. Ils ne sont pas extrêmes dans le dogme mais tout juste un peu tradi : le but de la manœuvre est de se réunir dans la même maison pour dormir, une semaine entière. D’autres us et coutumes viennent s’ajouter à cette contrainte : pas de lits, ce sera des matelas posés à même le seul. Encore ? Allez, de mémoire : pas de photos du défunt. Pas de miroir. Surtout pas de maquillage pour les femmes. Pas de soins du corps. Pas de rasage, pas de douche. S’asseoir sur une chaise aussi, interdit. Pendant 7 jours.

La belle Ronit Elkabetz, actrice, co-réalisatrice, pendant israélien de Jaoui (période pas relou, c’est-à-dire avant) propose un huit clos oppressant, où toute la violence et les ressentis familiaux vont éclater. Sur fond de sirènes et de masques à gaz (ça se passe en 91, en pleine guerre du Golfe, un zeste d’ironie féroce, sans doute la force du film), la famille du défunt va s’égorger et vider son sac. Il y a aussi les plus malins, ceux qui viennent draguer en scred’, exprimer leur frustration, mais tout ça, c’est des apartés. L’essentiel, c’est de bien montrer qu’on est triste. Huit clos, forcément, mais angoissant comme des japonais qui font semblant de ne pas se regarder en heures de pointes dans la Yamanote, on perd le compte des journées au fur et à mesure qu’on sort différents cadavres des placards, que le spectacle anxiogène de la famille qui tente de se couper ses mauvaises herbes toute seule. Même si la fin, genre queue de poisson, n’est pas très satisfaisante, l’équipe Elkabetz s’en sort pas mal grâce à son procédé pourtant déjà vu et revu et enlaidit par les piteuses initiatives récentes de films « chorales » made in France.

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Beaufort

Beaufort fait partie de ces films de genre « conscient d’eux même ». Meta-film de guerre, il prolonge la vision du spectateur à mesure qu’ils brouillent les sens et les pistes. Dès la première longue (et formidable) scène, il trucide un élément central de son histoire, sacrifié pour bien marteler la vanité de la situation.

Ce conflit, c’est Beaufort, un nom qui sonne comme une bonne ville de France ou un frometon, est un bastion historique, un château construits par les croisés et territoire conquis au Liban par Israël pendant la guerre de 1982. 18 ans plus tard, l’inévitable frappe à la porte du fortin, mi-château mi-béton : Israël va quitter cette forteresse. Il était temps, les troupes en poste là-bas se font sniper par des roquettes et des missiles. Ils ne servent à rien et ne peuvent rien faire. Désabusé, ils sont tout au plus des pions placés là par un gouvernement absent de l’image, qui ne communique que par téléphone rouge. Rendu impuissant par son instabilité ou son système électoral aberrant, il laisse ses troupes « se débrouiller » en attendant l’ordre d’évacuation.

Anti-film de guerre, Beaufort nous montre des soldats laissés à l’abandon, pris par le doute et crevant les uns après les autres. Chaque attaque du Hezbollah donne lieu à un re-bétonnage sans même chercher les auteurs du tir. On nage dans l’absurde. On évite au passage les leitmotivs du genre (l’amour viril, les caractères bien trempés, les fêtes et les beuveries avant les batailles ou le foot à poil façon Jarhead). Ca ne rigole pas. La caméra préfère se focaliser et surtout se dé-focaliser sur des silhouettes d’hommes au regard perdu espérant un retour au pays le plus rapide, des couloirs, des tranchées… Ils savent qu’ils rentreront s’ils survivent mais personne ne veut être le dernier à fermer la porte.

Il y a eu déjà pas mal de films de guerre condamné à l’échec, mais rarement consacré à un sujet d’actualité aussi brulant. Evidemment, on comparera cette expérience aux capacités du cinéma français (au hasard) à se questionner sur son propre passé. La guerre d’Algérie n’a pas eu son Full Metal Jacket, au mieux un Indigène qui malgré sa générosité évidente n’est qu’un bisounours. Même chose en moins bien pour « L’ennemi intime ». Israël, dont on peut dire sans sourciller que c’est un pays en situation de guerre depuis un paquet d’années, plombé par le secret militaire et la « grande muette », se permet d’avoir son propre cinéma critique, qui ne dédouane absolument pas ses protagonistes. Beaufort, sans avoir la maturité et la maestria pépère d’Eastwood dans Flags of our fathers, est une véritable œuvre critique et mélancolique sur l’actualité.

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Ciné israélien robotics : My Father, My Lord

Spécial cinéma israélien ‘08. Amateurs de franche rigolade, voici le programme : deuil, religion, guerre, re-deuil, sans doute un peu de religion et puis de la guerre. Fiscalité, inceste, œdème pulmonaire, ils avaient pas en stock. On va commencer avec My Father My Lord.

Un rabbin ultra-orthodoxe de Jérusalem fait ce qu’il est supposé faire : étudier la Torah. Il essaye de transmettre son savoir et sa foi à son fils, pas récalcitrant pour un môme de 10 ans, mais pas zélé non plus. Genre « Papa m’a dit », mais sans plus. Survient l’accident où le pauvre mouflet va se noyer ce qui ébranlera le père.
Je tiens d’un survivant de la Shoah le témoignage d’un rabbin, constatant l’horreur : « Vide, le ciel est vide ». On ne peut que nier, en bloc. Presque sans paroles, par séquences lentes, à la limite de la réminiscence, on ressent l’incompréhension du rabbin avec des moments de rage contenue face à un dieu qui lui enlève brutalement ce qu’il a de plus cher. Pire, il n’arrive même plus à exprimer sa colère. Comment croire en lui alors qu’il inflige le châtiment suprême à ses serviteurs ? C’est toute les questions que se posent les acteurs se la jouant naturaliste jusqu’au bout. Animé par d’oppressants mouvements de caméra, exigeant et d’une tristesse inouïe, My Father My Lord est une tragédie pudique, poignante dans ses non-dits, une aquarelle de chagrin inconsolable.

Mais sur le même thème, même endroit, Tehilim (évoqué méga brièvement ici) est encore plus métaphysiquement attirant.

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Dans les dents (1)

Daredevil N°110