Archive for March, 2009

24 City

On nous vend la crise comme inévitable, à coup de reportage moyennement optimiste chez Pernault. Mais de l’autre côté de la Terre, on casse. Après le sublime Still Life et Useless, Jia Zhang Ke nous offre encore une master class magistrale de lucidité et d’esthétisme mélancolique. Après la ville s’apprêtant à se faire engloutir « pour faire une jolie vallée », il plante sa caméra dans une grosse usine dans le Chengdu. A mi-chemin entre docu (l’usine est sur le point d’être démantelée) et fiction (certains personnages interrogés sont des acteurs, mais pas tous), Jia Zhang Ke transforme la nostalgie d’un moment en puissance esthétique « in your face », comme si l’usine en pleine décomposition témoignait à son tour. Pas de la gnognote comme le blog chinois de Jean Pierre Raffarin en noi-chi (lisez les commentaires, ça vaut le coup). Zhang Ke est sans doute un des plus grands réalisateurs en activité, c’est une certitude maintenant. On se demande comment il fait pour tourner cette vérité crue de la démolition d’un pays, sans aucune forme de censure. Unir la beauté et la mémoire, à chaque plan fait de Zhang Ke devient le plus pertinent des guetteurs de la transformation urbaine. Une note d’espoir : son interprète nous a annoncé qu’un de ses futurs dream project sera de monter un film de kung fu politique. J’espère vivre assez longtemps pour voir ça.

Watchmen

Mais who watches the Watchmen, à la fin? La vraie question, c’est plutôt « qui a besoin d’un film de Watchmen ? » Après tout, ce n’est pas la première fois qu’une œuvre mémorable est adaptée pour donner du prémâché grand public, un machin déshydraté qu’on inonde de clichés de réa moderne post écran vert, post-Matrix. Alors que V for Vendetta rabaissait la révolte à un ado qui crie naïvement son mal être, les cheveux dans le vent et l’Eastpack recouvert de slogans nihilistes au typex, Watchmen the movie est une belle œuvre démago qui caresse le spectateur dans le sens du poil. « Ce qu’on vous montre est génial, et ça vient directement du roman graphique ». Le projet se ment à lui-même à chaque instant, aussi bien sur sa profondeur que sur sa portée ou même que sur son format. L’insistance du rejet total des mots « comics » ou « comic book » de l’entreprise (tout comme le gamin lecteur de comics dans le bouquin) doit sans doute emmerder Alan Moore qui, fidèle à son habitude prône la désolidarisation gouvernementale assisté par la magie noire. Moore n’est pas dupe du succès de son œuvre, un gros malentendu qui fait croire à son lecteur qu’il est plus fin qu’il ne l’est en réalité, le tout mis sur papier par le fantastique Dave Gibbons (check Martha Washington), une déconstruction d’une ligue de super-héros, pastiche des icones du monde du comics.

The Spirit, l’adaptation par Miller, l’autre icône des 80’s pop culturelle, de l’œuvre de Will Eisner avait ouvert la voie. The Spirit, le matériel originel, ne fonctionne que sur papier. Sa narration, son traitement, ses sujets même, ont révolutionné la bande dessiné, et tenter de les adapter ne pouvait donner qu’un objet « autre ». Watchmen, pareil. Ce n’est pas non plus un high concept. L’histoire ne peut fonctionner que si l’on a préalablement emmagasiné des passages entiers de sous-cultures super héroïque. Sans ce background épais (qui heureusement s’est propagé avec les années via la tv et les films en versions plus ou moins floues), la motivation des justiciers masqués paraitra fumeuse. Mais ça permet déjà de cibler son public : le mainstream qui a vu Batman, Superman et ptet même Hulk au ciné qui auront là du blockbuster petit bras. Les fans, eux, seront contents, à force de leur parler de respect, ils ne verront pas les longs dialogues transformés en catchline. Ils n’auront pas l’impression de s’être fait tirer leur doudou transitionnel.

Plus naze encore, la fin qui abdique tout son sens à une rituelle baston de fin alors que les personnages restent dans le méta-commentaires d’eux-mêmes. Un peu comme les couteaux tchic tchic bullet timé de V for Vendetta. Reste le dégraissage. Des 12 numéros (remember, this is not a graphic novel), on vire beaucoup de choses, alors que c’est précisément la densité d’informations, toutes les lignes de lectures qui faisaient de Watchmen une lecture si singulière. Les Minutemen sont balancés en un générique, le background du Vietnam à peine touché, on a là ce qu’on peut pendant 2h30, du copy-paste de séquences clef, des catchlines. Et Rorschach (réussi, lui). Ceci étant, Snyder prend des libertés zarbi. Rorschach pas assez violent ? Facile, on va le voir défoncer le crane d’un mec à la hachette avec giclée et tout le toutime. Le Comédien, pareil. C’est systématiquement vers la voie de la violence slo-mo que se dirige le réa, se contentant de filmer le reste comme un film d’action alimentaire, où les personnages n’ont quasiment pas la place d’y respirer, où l’on s’amuse à voir que Dan est moins gros, Lauren moins dépressive, Dr Manhattan moins exhib’, le comédien moins défiguré. Au passage, on a une bande son à côté de ses pompes. Simon& Garfunkel ( !) . Dylan ( !!). Leonard Cohen (!!!). Hé mec, c’est les 80’s, wake me up before you go go.

Après les épiphénomènes qualitatifs Sin City et le propagando-cool 300, Watchmen inaugure une nouvelle ère : après le Direct-to-vidéo, on passe à la très redondante Direct-to-movie (à la Kick Ass, l’année prochaine), épaulé par des web épisodes, des préquelles en jeu vidéo, sans parler des spinoff genre Tales of Black Freighter… Watchmen n’avait pas besoin de tout ça pour exister, pour boucler la boucle des super-héros costumés. Une initiative pas très utile, en somme.

sur 5 et 4 Airwolf pour la bonne prestation de Rorschach.