Un Prophète voulait-il réellement restituer le problème des prisons françaises, là où elles sont bien plus cra-cra et surpeuplées ? Audiard semble avoir choisi de ne pas rentrer dans cette thématique en mettant bien en scène du franc français qui se planque dans une godasse. Dans le monde Marvel, on vous annoterait dans une case un « a few years ago »un peu vague. La dernière partie du film se soulève littéralement elle-même et enlève tous les doutes. Il y a même du gunfight. Un prophète est une fiction, pas un FAQ, et des scènes clefs sont là pour faire balancer le ciné de zonzon en vrai film de genre plus classique, pour respirer un peu après un début terriblement claustro.

Malik El Djebena débarque en prison. Plus coquille vide, tu meurs. Pas vraiment de passé, encore moins d’avenir, cet orphelin analphabète, musulman du bout des lèvres, va se transformer par nécessité de s’en sortir. Il va rentrer dans un gang de corses qui le protégeront s’il accepte de pointer quelques mecs pour eux. Malik est malin, il apprend doucement mais il a six ans à tirer. Il va marcher sur les pas de son mentor colérique, César Luciani, un Niels Arestrup tout en retenue inquiétante comme quand on joue dans une langue qu’on ne connait pas mais qu’on est bon acteur. Le vieux le traite salement et il comprendra tôt ou tard que le hagar, ça paye pas.

Le petit arabe contraint à s’en sortir, uniquement grâce à sa débrouillardise, qui plus est contre des adversaires bien plus menaçants, on frôle le surréalisme. On reste loin des cas à la Chaos, de cette fille contrainte au mariage en Algérie, revenue puis forcée à faire le trottoir et qui, avec l’argent gagné en bourse grâce au Wall Street Journal, finit par démanteler seule tout un trafic de prostitution venu de l’est. Ouf. Non, chez Audiard, rien n’est laissé au hasard.

C’est même assez incroyable de voir que pour un film de taule, Un Prophète évite un nombre hallucinant de clichés, genre celui du “mec qui te remet dans le droit chemin”, (le truc absolument nul façon American History X), sans parler de la savonnette sous la douche, de la torture à la Oz ou encore de l’inévitable laïus sur les conversions à l’Islam, façon “assumer, c’est dur, mais avec un tapis de prière, ça aide”. Non, Un Prophète n’est pas tout ça, il fait du cinoche tête baissée. C’est une œuvre vraiment complète, avec de nombreuses lignes de lecture où l’on piochera finalement celles qui nous marquent le plus. Certains se demandent encore quel est le vrai sujet ici tandis d’autres souriront jaunes à la Fadela Amara. Pourtant Un Prophète brasse le thème qu’Audiard applique quasi musicalement à ses héros : un môme qui va devenir homme et qui, pour grandir, passera inévitablement par la case du meurtre du père, la symbolique récurrente de tous les films d’Audiard Jr. Un film assez brillant.