Je te vois arriver. Jean-Luc Godard, c’est pas vraiment un yesman du film d’action. Deux raisons pour le faire rentrer dans le cockpit des blockbusters de l’été 2010. D’abord, il faut respirer un peu. Ensuite, regarder un Godard aujourd’hui, c’est comme un sport de combat. Faut être confiant, bien concentré sur ses appuis, jamais baisser la garde et laisser passer l’orage quand une rafale de montages zarbi et de quotes te tombent sur la gueule.

Flemme de chercher “Notre Musique“, son précédent film, dans mes archives (2003, Raffarin était encore Premier ministre, t’imagines…) Mais en gros, à un moment, il y avait un indien qui traversait les ruines fumantes de Sarajevo, tandis que Godard lui-même se filmait, donnant une master-class à une foule à moitié-assoupie. Ce détail somnolent est important. Indiens d’Amérique, juifs, JLG fonçait à toute vitesse malgré sa voix monocorde. Je crois me souvenir d’une phrase lancée à cet auditoire mis en abime “Si vous avez compris quelque chose à ce que j’ai dit, c’est que j’ai mal fait mon travail“. Sans fucking déconner, quoi.

C’est ce qu’on appelle de la “captatio malevolentiae“, une figure rhétorique qui vise à s’aliéner son auditoire. (Oh rien d’extraordinaire, j’ai retenu ça dans un épisode de Cosmocats Saison 1 Episode 5). Bref, Godard-Kun, il ne fait rien pour se mettre son public dans la poche. On retrouve ce trait de caractère délicieusement odieux chez des profs de fac maléfiques qui considèrent que le savoir ne doit être dispersé qu’à la plus pointue des élites.

Film Socialisme a deux qualités. Il a une bande annonce à tomber par terre qui déroule l’intégralité du film sur une minute.


Deuxio, c’est le meilleur titre de tous les temps, fruit d’une boulette typographique digne de Monkey Kong. Le reste du temps, on passe entre des passages joués expérimentaux, du pseudo-making of d’une croisière, puis on voit des ânes, des lamas, du gros pixel venu d’internet, des fausses séquences de “F3 Regio”… Les phrases volent mais ne se terminent pas. La moitié du film et t’es déjà perdu. Et pas de repère pour t’accrocher, d’explosions, de Liam Neeson ou de Russel Crowe. Puis viennent les 15 dernières minutes. Du pur Godard semi-laïusard, passionnant, raccourcis de mauvaise foi. Tu passes de la Palestine à Odessa et Barcelone en 3 syllabes. Si t’es pas préparé, t’es mort. Ca cite à tout va, ça invoque, même. Coup de chance, un camarade de jeu (bisou Tristou) vient de m’offrir le bouquin-script de cette expérience. Je ne résiste pas, je vous en offre un morceau sélectionné vraiment au pif..

Un captif amoureux
Et le deuxième ange répandit sa coupe sur la mer
Et elle devint comme le sang d’un mort
Dans son deuxième cours de l’école libres des hautes
Etudes de New York Roman Jakobson démontre

Pendant l’hivers 1942-43 qu’il est impossible de
Dissocier le son du sens et que seule la notion de
Phonème permet de résoudre ce mystère

D’une façon générale écrire pour deux voix
Ne réussit que lorsque les dissonances sont
Annoncées par une note commune

(Suivent deux phrases, une en arabe et l’autre en hébreu, n’ayant pas le clavier pour, on va zapper)

Je me suis farci 2h de rapsodie avec des lamas et des gens qui se parlent tout seul pour kiffer en fin de compte ce finish attendu, décoré par ses typos de type Evangelion. Un finish comme une clef de voute de son système, tel le bêtisier d’un film de Jacky Chan où il se brise tous les os : indispensable. Mais la voix de Godard, bien que suisse d’entre les suisses, me manque. Son propos n’explose vraiment que quand c’est lui qui balance ses hyper-raccourcis du cosmos.