Mike Leigh fait toujours des films ambitieusement puissants. Secret & Lies, drame sur fond de misère sociale anglaise, était juste fabuleux, dense, exalté et exaltant… Et là, on a Be Happy. Happy-Go-Lucky en vo, mais par commodité, on va s’en tenir à cet impératif « Be Happy », un peu nul comme un « Ensemble, c’est tout ». C’est un peu le film Némésis parfait de Secret & Lies, son Yang parfait. Sally Hawkins alias Poppy lève les bras, rit, sourit et te regarde impérativement dans les yeux. On se dit que les 2 heures vont être longues. Mais c’est mal connaitre Leigh. Derrière sa Poppy jovio-histéro se cache un discours beaucoup plus tendu sur la société. En partant du principe qu’il ne peut absolument rien arriver à cette fille, toute forme de dramaturgie classique est complètement neutralisée. Du coup, Mike, il est malin, il truffe son film de personnages secondaires « comme les anglais en ont le secret ». Les très brèves retrouvailles de familles éclatent littéralement à la gueule. Mais pas comme dans Secret & Lies, une violence très rentrée. Le permis de conduire devient une épreuve. On souffre presque pour eux, pour ceux qu’ils portent en eux.

Mais vraiment, à part sa manie de ricaner pour un rien, parfois, Poppy est vraiment charmante, dans le sens élégant du terme XXème siècle. Elle s’occupe d’enfants, et bien. Elle prend le temps de parler à un clodo pas si clodo que ça (toujours le tissu social anglais à la Leigh). C’est vraiment quelqu’un de bien, genre qui ramène son plateau au Starbucks, une file capable de voter Delanoë en 2012. So what’s up ? Le bonheur, l’entrain, la vitalité dérange-t-elle ? C’est peut-être le propos du film.

Internet, la TV, tout est devenu un flot de négativité intense. Tristan dit « le sobre sage » me disait « mais putain, depuis quand tout est devenu si fuckn’evil » prenant en exemple les zilliards de posts négatifs de forums. On a peur pour les Poppy futures. Et je vais vous dire, je me sens parfois un peu honteux de participer à cette pollution numérique car la critique « bouse et daube » est largement plus drôle à faire (et les mecs, j’ai survécu à Injû et à la Possibilité d’une île, je sais de quoi je parle). Mike Leigh c’est la même chose : le biz’ du ciné est devenu une bouillabaisse où il passe pour un gugusse à faire un film sans but clairement souligné, à la limite du trivial après avoir visité les profondeurs de l’âme humaine.

Et pourtant, faut le voir laisser balader sa caméra sur les petits vieux avec la finesse d’un Martin Parr, mais sans ironie. Be Happy est un film qu’on regardera dans 20 ans en se disant « comment a-t-on pu sortir ce film au moment du RSA, de ces débats TV politiques passionnants mais qui servent à rien avec des Zemmour qui répètent exactement le même speech chaque semaine, au moment où Christine Lagarde nous dit que la crise économique ne touchera pas la France, car elle est protégée par les mêmes montagnes qui nous ont sauvé du nuage de Tchernobyl, que Ségo namedroppe des lyrics assassins « ou disparaissez ». Une nouvelle taxe par mois ! Des mecs qui se font poignarder dans le XIXème. Les banques qui déposent le bilan. Non, Be Happy va bien au-delà, malgré son timing un peu fou, poursuit sa thématique de la vérité sociale de Leigh, avec une suite logique dérangeante. Généreusement agressif. Ce mec est brillant.