Beaufort fait partie de ces films de genre « conscient d’eux même ». Meta-film de guerre, il prolonge la vision du spectateur à mesure qu’ils brouillent les sens et les pistes. Dès la première longue (et formidable) scène, il trucide un élément central de son histoire, sacrifié pour bien marteler la vanité de la situation.

Ce conflit, c’est Beaufort, un nom qui sonne comme une bonne ville de France ou un frometon, est un bastion historique, un château construits par les croisés et territoire conquis au Liban par Israël pendant la guerre de 1982. 18 ans plus tard, l’inévitable frappe à la porte du fortin, mi-château mi-béton : Israël va quitter cette forteresse. Il était temps, les troupes en poste là-bas se font sniper par des roquettes et des missiles. Ils ne servent à rien et ne peuvent rien faire. Désabusé, ils sont tout au plus des pions placés là par un gouvernement absent de l’image, qui ne communique que par téléphone rouge. Rendu impuissant par son instabilité ou son système électoral aberrant, il laisse ses troupes « se débrouiller » en attendant l’ordre d’évacuation.

Anti-film de guerre, Beaufort nous montre des soldats laissés à l’abandon, pris par le doute et crevant les uns après les autres. Chaque attaque du Hezbollah donne lieu à un re-bétonnage sans même chercher les auteurs du tir. On nage dans l’absurde. On évite au passage les leitmotivs du genre (l’amour viril, les caractères bien trempés, les fêtes et les beuveries avant les batailles ou le foot à poil façon Jarhead). Ca ne rigole pas. La caméra préfère se focaliser et surtout se dé-focaliser sur des silhouettes d’hommes au regard perdu espérant un retour au pays le plus rapide, des couloirs, des tranchées… Ils savent qu’ils rentreront s’ils survivent mais personne ne veut être le dernier à fermer la porte.

Il y a eu déjà pas mal de films de guerre condamné à l’échec, mais rarement consacré à un sujet d’actualité aussi brulant. Evidemment, on comparera cette expérience aux capacités du cinéma français (au hasard) à se questionner sur son propre passé. La guerre d’Algérie n’a pas eu son Full Metal Jacket, au mieux un Indigène qui malgré sa générosité évidente n’est qu’un bisounours. Même chose en moins bien pour « L’ennemi intime ». Israël, dont on peut dire sans sourciller que c’est un pays en situation de guerre depuis un paquet d’années, plombé par le secret militaire et la « grande muette », se permet d’avoir son propre cinéma critique, qui ne dédouane absolument pas ses protagonistes. Beaufort, sans avoir la maturité et la maestria pépère d’Eastwood dans Flags of our fathers, est une véritable œuvre critique et mélancolique sur l’actualité.

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