Appaloosa est un exemple typique de film canonique, ricain dans toute sa splendeur et sa largeur 16/9ème. Un western en 2008, c’est un anachronisme, certes, mais quand il va plus loin sans se poser de question, là, c’est un miracle. Je n’ai rien contre les beaux morceaux de cowboys panthéistes et dépressifs façon Jesse James ou in extenso Brokeback Mountain. Au contraire. Mais un vrai film du genre, qui s’accroche fermement à ses codes sans diffuser de méta-messages, c’est comme un peu de chaleur que vient vous mettre dans le corps le 5ème shot de vodka : on est bien, en territoire ami. Open Range avait un peu amorcé le retour et Yuma² refaisait du déjà fait en moins bien. Là, on monte le level.

Appaloosa, histoire type datant de la conquête de l’Ouest. Petite bourgade préindustrielle, elle est victime de Bragg, un bag guy (Jeremy Irons, brillant), margoulin de première et accessoirement assassin. Les pontes du bled finissent par demander de l’aide au marshal Cole (Ed Harris, qui réalise aussi) et à son adjoint Hitch (Viggo Mortensen). Histoire de l’affrontement classique de la droiture face au mal, qui se morphe finalement en corruption, avec un vague fond amoureux (Zellweger, no comment).

Ed Harris qui avait réalisé le brillant Pollock (sélectionné dans mon futur article « les bons biopics qui se la pètent pas, sans morceaux d’acteurs dedans », revenez quand ça sera prêt) fait ici du Western Grand Espace qui respire le Nouveau Mexique, de la chaleur à la poussière. Mais surtout, il capte complètement l’essence du buddy movie sérieux et viril, l’harmonie des hommes qui regardent dans la même direction, en se comprenant sans se parler. C’est vraiment dur de capter « ce truc », cet équilibre qui fait que l’entreprise peut basculer dans la bouffonnerie. La réa, énergique mais tout en contrôle, donne la distance suffisante qui évite le trop sérieux, pesant et poussif façon Dark Knight (qui, au fond, essayait de développer la même thématique, à savoir cette amitié doublée d’une bonne dose de bushidô). Ed Harris, génial dans son rôle de « mec à couilles qui te regarde avec des yeux de tigres » (cf la filmo de Clint Eastwood) est secondé par un Viggo époustouflant. Aah Viggo. Véritable pinceau humain qui n’a jamais été aussi bon que depuis qu’il a fait oublier le Seigneur des Anneaux de son palmarès, il est manipulé par les réalisateurs à qui il fait littéralement don de lui-même. On pense aux deux Chronenberg et (Inch’Allah) au projet Poe de Stallone. Ajoutons à ce casting parfait la gueule de voyageur décalqué de Lance Henriksen, et on a de l’or en barre.

Appaloosa ne déçoit pas, jusque dans son finish, d’une majesté contenue. Seule anicroche au genre : c’est le refus total de tout folklore et de paillettes. Le passage des « indiens » concentre toute l’humanité de Danse avec les loups en 5 minutes tandis que les guerriers du Far West tombent minables sous le coup des balles. Pas de de blessures viriles au bras gauche (celui qui ne sert pas, pour pouvoir tuer le boss de la ville/de fin de niveau) après les fusillades. Les duels tiennent plus de l’intensité du combat de samouraïs, affuté comme une lame. Ce réalisme, qui va jusqu’à la pousscaille qui s’installe dans les cicatrices des gueules bourrues de ses héros qui vivent leur derniers moments de vie façon Bakumatsu, apparait comme une vraie force tranquille. Le traitement intelligent et harmonieux de cette amitié burinée, fruit d’un amour évident du genre, tout cela fait du film d’Ed Harris, une sorte de « template », de moule à gâteau dans lequel les autres devraient se fondre. C’est, en quelque sorte, ce que le cinéma américain produit de meilleur aujourd’hui : une œuvre néo-classique.