Je me souviens d’un reportage circa 2006 où des caricaturistes regrettaient déjà le départ de Chirac. Chacun y allait de sa minute nostalgique, dessinant les grandes lignes de Mitterrand, Chirac ou de Gaulle pour nous prouver à quel point le nouveau gus qui allait débarquer n’a pas les épaules pour le job. Stop, les mecs, vous vous êtes gourés. 2011 nous prouve aujourd’hui qu’on peut faire de la politique-fiction avec n’importe qui. Joaquin Phoenix a eu son I’m still here, Sarkozy aura le sien, mais avec moins de nudité faciale.

Mais pas d’objection là-dessus, Sarkozy n’a pas la stature présidentielle. Ca s’est joué à peu hein. Chirac aura sans doute son musée quai Branly aussi facilement que François Mitterrand sa Grande Bibliothèque. Mais Sarkozy, sans rire, qu’en restera-t-il ? Un musée sur l’immigration ? Et puis il y a eu sa meuf à Disneyland Paris parce qu’avec Carla, “c’est du sérieux“, le yacht, sa Patek plus chère qu’une rolex, “casse-toi pauv’ con“, l’Epad promise à fiston, “si tu reviens j’annule tout” et puis le fait qu’il se fasse masser le périnée… Avec un dossier long comme une barbe de Loubavitch, faut pas s’étonner qu’on fasse un film de ta life. Et puis même si Sarkozy n’est pas “un grand fauve” de la politique à l’ancienne, c’est au moins un animal assoiffé qui fera un bon sujet de film.

Mais pourquoi un blockbuster ? Pas la moindre explosion, pas le moindre coup de pied sauté, même de la part de Devedjian, pas l’ombre d’une patate dans les dents… C’est que la Conquête nous raconte quand même une histoire high profile, l’ascension d’un président (encore en exercice, le film tu pourrais le youtuber tellement c’est frais !) dont la vie personnelle se dérobe littéralement sous ses pieds. Scénariste star (Patrick Rotman des jolis docs sur Chirac mais surtout son entretien vérité avec Jospin qui devrait être, sans déconner, ton dvd de chevet), acteurs pas franchement connus mais souvent larger than life, qui jouent généralement sans trop guignoler, répliques connues sur répliques archi-connues, la Conquête est, sans discussion possible, le blockbuster à la française que l’on attendait (et grand dieu,  j’ai vu Largo Winch 2 pour en témoigner aujourd’hui).

Mais malgré ce qui est le projet le plus ambitieux du ciné français depuis bien trop d’années, il manque un truc. Sans doute la dimension cinéma. Comme une histoire. Les séquences s’enchainent autour de saynètes où chacun des personnages désormais historiques viennent balancer leur one-liner devenue immortel mais qui ne surprendra aucun lecteur du Canard Enchaîné. Et il ne manquait vraiment que “Tu l’aimes ou tu la quittes” pour que cette compil soit complète. Il règne quand même une atmosphère de cheap à chaque plan qui ne s’appuie pas sur une réalité documentée. D’accord, ce n’est pas le jardin de l’Elysée, mais alors cette scène de foule dans la rue (spoil) le soir de l’élection de Sarkozy, c’est juste hi-deux comme un passage français du dernier Eastwood. C’est dire. Où comment faire revenir des ambitions à portée de téléfilm en quelques images.

Du coup, le vrai passage intéressant, c’est cet amour qui se déchire entre deux sketchs des Guignols IRL. Ces derniers avaient l’avantage d’essayer de créer du drôle quand la Conquête ne peut s’appuyer que sur le venin des chiraquiens pour aligner des quotes immortelles. Les chiraquiens, justement, en prennent plein la gueule. Villepin est un vrai fou délirant et le film n’hésite pas à la condamner sans équivoque à la place du juge dans l’affaire Clairstream. Quand à Chirac, c’est “le roi se meurt”, mais avec Bernard le Coq à la place de Michel Bouquet (qui, lui, a fait son OPA sur Mitterrand). Pas de chance, mais hé, il l’a bien cherché, vu son quinquennat affreux. Denis Podalydès avec lequel j’ai du mal que ce soit un rôle classique ou dans Neuilly Sa Mère joue ici le rôle de sa life, incarnant sans rentrer dans la caricature, en véritable ventriloque de Sarkozy.

Et puis il y a les out-of-character (et je ne déconne pas) : Henry Guaino passe pour un gauchiste qui fait des high five. Dominique Besnehard surjoue Pierre Charon qui surjoue Ségolène Royal, really ?  Et puis surtout, Claude Guéant sourit. Et ça, même avec des images de synthèse, t’y arrives pas.

Mais il y a un dommage collatéral à la Conquête. Il est évident que cette initiative, transformant Sarkozy en héros de cinéma, va le rendre plus sympathique, surtout après le cycle “Blu-Ray-diffusion TV”. Le traitre blessé, le winner cynique mais malin, le mari (à peine) trompeur et délaissé, tout ça. C’est peut-être ça le problème de Sarkozy, c’est qu’il a tellement abaissé la fonction présidentielle qu’il est parvenu à rendre plausible l’idée qu’il est un personnage de cinéma presque centriste, moche mais touchant, dans un blockbuster à la carrure d’une fiction TF1. Espérons que cela reste sans suite.