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Film Socialisme
May 24th
Je te vois arriver. Jean-Luc Godard, c’est pas vraiment un yesman du film d’action. Deux raisons pour le faire rentrer dans le cockpit des blockbusters de l’été 2010. D’abord, il faut respirer un peu. Ensuite, regarder un Godard aujourd’hui, c’est comme un sport de combat. Faut être confiant, bien concentré sur ses appuis, jamais baisser la garde et laisser passer l’orage quand une rafale de montages zarbi et de quotes te tombent sur la gueule.
Flemme de chercher “Notre Musique“, son précédent film, dans mes archives (2003, Raffarin était encore Premier ministre, t’imagines…) Mais en gros, à un moment, il y avait un indien qui traversait les ruines fumantes de Sarajevo, tandis que Godard lui-même se filmait, donnant une master-class à une foule à moitié-assoupie. Ce détail somnolent est important. Indiens d’Amérique, juifs, JLG fonçait à toute vitesse malgré sa voix monocorde. Je crois me souvenir d’une phrase lancée à cet auditoire mis en abime “Si vous avez compris quelque chose à ce que j’ai dit, c’est que j’ai mal fait mon travail“. Sans fucking déconner, quoi.
C’est ce qu’on appelle de la “captatio malevolentiae“, une figure rhétorique qui vise à s’aliéner son auditoire. (Oh rien d’extraordinaire, j’ai retenu ça dans un épisode de Cosmocats Saison 1 Episode 5). Bref, Godard-Kun, il ne fait rien pour se mettre son public dans la poche. On retrouve ce trait de caractère délicieusement odieux chez des profs de fac maléfiques qui considèrent que le savoir ne doit être dispersé qu’à la plus pointue des élites.
Film Socialisme a deux qualités. Il a une bande annonce à tomber par terre qui déroule l’intégralité du film sur une minute.
Deuxio, c’est le meilleur titre de tous les temps, fruit d’une boulette typographique digne de Monkey Kong. Le reste du temps, on passe entre des passages joués expérimentaux, du pseudo-making of d’une croisière, puis on voit des ânes, des lamas, du gros pixel venu d’internet, des fausses séquences de “F3 Regio”… Les phrases volent mais ne se terminent pas. La moitié du film et t’es déjà perdu. Et pas de repère pour t’accrocher, d’explosions, de Liam Neeson ou de Russel Crowe. Puis viennent les 15 dernières minutes. Du pur Godard semi-laïusard, passionnant, raccourcis de mauvaise foi. Tu passes de la Palestine à Odessa et Barcelone en 3 syllabes. Si t’es pas préparé, t’es mort. Ca cite à tout va, ça invoque, même. Coup de chance, un camarade de jeu (bisou Tristou) vient de m’offrir le bouquin-script de cette expérience. Je ne résiste pas, je vous en offre un morceau sélectionné vraiment au pif..
Un captif amoureux
Et le deuxième ange répandit sa coupe sur la mer
Et elle devint comme le sang d’un mort
Dans son deuxième cours de l’école libres des hautes
Etudes de New York Roman Jakobson démontre
Pendant l’hivers 1942-43 qu’il est impossible de
Dissocier le son du sens et que seule la notion de
Phonème permet de résoudre ce mystère
D’une façon générale écrire pour deux voix
Ne réussit que lorsque les dissonances sont
Annoncées par une note commune
(Suivent deux phrases, une en arabe et l’autre en hébreu, n’ayant pas le clavier pour, on va zapper)
Je me suis farci 2h de rapsodie avec des lamas et des gens qui se parlent tout seul pour kiffer en fin de compte ce finish attendu, décoré par ses typos de type Evangelion. Un finish comme une clef de voute de son système, tel le bêtisier d’un film de Jacky Chan où il se brise tous les os : indispensable. Mais la voix de Godard, bien que suisse d’entre les suisses, me manque. Son propos n’explose vraiment que quand c’est lui qui balance ses hyper-raccourcis du cosmos.
Achille et la Tortue, une rencontre Kitano-Denisot
May 19th
Rencontre imaginaire. Denisot reçoit Kitano. Le plateau de la “Croisette” est chauffé à blanc. Les 70 assistants de Kitano, entre managers et gardes du corps, toujours avec des têtes de Yak’, surveillent le public. Les filles se sont arrêtés de gueuler, Jude Law est déjà loin.
Michel Denisot : - Alors monsieur Kitano, ça fait quoi d’être un dieuvivant dans votre pays ?
On notera que quand les acteurs sont français ou américains, ils ont droit à un “undesplusbeauxcastingsdelacroisette”, répété d’une voix robotique. Là, il est japonais, c’est donc un dieuvivant et le level au dessous, c’est unestardansvotrepays
Rire gêné, Kitano ne répond pas et sourit.
MD: – Ca vous fait quoi d’être à Cannes ?” demande Denisot avec la conviction d’un parrain de la Cosa Nostra.
Kitano : - Annoo. Cannestenowa masa ni Et bien en fait Cannes eigateki no ichiban c’est vraiment pour le cinéma seikai no ichiban l’endroit le plus taisetsu tokoro desu ne important du monde. Et c’est pourquoi je suis heureux d’être ici.
MD: – Alors on va regarder votre montrée des marches d’il y a trente minutes.
Laurent Weil : “Oui, Alors je vois l’équipe du dernier Kitano qui s’approche, je vais essayer de leur parler. HELLO MISTER KITANO. VERY NICE TO SEE YOU AT DE FESTIVAL. DO YOU ENJOY CANNES ?
Kitano : - ummm. Kochira Koso.” dit-il en s’esquivant bien vite.
Laurent: Oui, visiblement, Takeshi Kitano est très ému de monter les marches de Cannes. Il faut savoir que c’est une star internationale qui rencontre un énorme succès à l’étranger, mais aussi que c’est une grande star du comique dans son propre pays.
Retour plateau.
MD: Merci Laurent, tout de suite la météo, le zapping et après Omar et Fred, le petit journal People.
Jingle.
Ce que Canal + a oublié de préciser, c’est que Kitano a déjà sorti un film cette année. Achille et la Tortue est le dernier volet de son égo-triptyque. Ça parle de lui, de ses inspi’ et de sa notoriété de gugusman au Japon. Je ne sais pas dans quelle mesure Hanabi ne parlait pas plus de son fort intérieur, mais là, le thème, c’est sa pomme-LOL. Le film commence par un mini dessin animé qui donne tout de suite le ton de la fable. Machisu (gag) est un peintre mais de deuxième, limite troisième zone qu’on va voir vieillir en 3 époques différentes. Hypnotisé par sa propre œuvre, il s’entête et continue inlassablement, même si aucune de ces croutes ne se trouve preneur. Grotesque, too much et finalement très humain, il est quand même aidé avec passion par sa femme tandis que sa fille le conchie. Trop la loose. En France, ce même setup ferait un très bon combo deConfessions Intimes du genre “Amateur de Tuning, mon père aime Johnny jusqu’à s’en tatouer le corps entier mais ses enfants ne le supportent plus.” Kitano a l’élégance de ne pas nous sortir les histoires archi-vues genre “je suis un génie que personne ne comprend”. Prise de risque pas gigantesque, de la folie répétitive, on est dans le Kitano 3.0, de la fable assez consciente d’elle-même, qui exige quand même d’être assez imperméable au grotesque pour voir un Kitano radical faire son gaga. Oh et le trailer trompeur donne envie de noyer des lapins tellement il est nul.
Com-Robot