Archive for year 2008

Dans les dents !

Il y a 16 ans et des poussières (4)

Valse avec Bachir

Valse avec Bachir aurait pu être un de ces dessins animés moches et tristes sur la guerre comme on en a déjà vu pas mal. Mais sa construction habile autour de la réminiscence d’un soldat (le réalisateur), de la manière dont il a refoulé les massacres de Sabra et Chatila. D’emblée, on va écarter le propos ayant pour trait l’animation. Lui ouvrant les portes d’un public beaucoup plus large (la plupart des spectateurs de Bachir venu de la japanim’ ont-ils jamais vu un seul film en hébreu de leur vie ? Paf, dans ton ouverture), il s’exclue néanmoins de toute formulation documentaire pendant 2 heures, jusqu’à ce que des images d’actualité interviennent, tout comme dans « le cahier » (film irano-afghan sorti cette année, critique à venir ici quand y’aura le temps). La durée, parfaite compte tenu du contexte de la lutte pour recouvrir la mémoire, rend encore plus douloureuse cette claque du retour à la réalité. Ari Folman, le réa /auteur/personnage principal, part à la recherche de ses compagnons d’armes, désireux de faire la lumière sur des cauchemars qui le hantent depuis qu’il a servi au Liban.

Une critique revient régulièrement : certains (vous savez, ces discussions de fin de soirée où le ton monte un peu) y ont vu une tentative de dédouanement de Tsahal. Ce qui ne m’a pas l’air d’être le cas. Au contraire Ari, tout comme dans Beaufort, évoque son impuissance, lui et celle de ses camarades. Que le procédé d’Ari, réel ou pas, importe peu, il a absolument le droit de s’autofictionner. D’autre part, j’ai pu constater ce refoulement, processus un peu extrême mais classique chez les survivants des tragédies des soixante dernières années. Des horreurs que les gens de fin de repas ne se rendent pas forcément compte. On est puceau de l’horreur comme on l’est de la volupté. Envoutant jusqu’à l’hallucination, cette fameuse « valse », instant d’envoutement et sans doute un des plus grands moments de films de guerre panthéiste depuis Thin Red Line, Valse avec Bachir avance consciencieusement avec une vraie pâte Mallickienne doublé d’un vrai discours politique remettant en cause l’efficacité de Tsahal. Contrairement à de nombreux pays, c’est de l’intérieur qu’Israël se critique, comme une réponse à un pouvoir politique inanimé. Le contraire de Valse avec Bachir, une critique d’un genre nouveau. Bravo.

Dans les dents !

Cyber Lenine dégommant Mecha-Staline dans Dance Kremlin Palace. Priceless.

Les Sept Jours

Les Sept Jours symbolisent la période de deuil obligatoire que mènent les juifs à la mort d’un proche. Ils ne sont pas extrêmes dans le dogme mais tout juste un peu tradi : le but de la manœuvre est de se réunir dans la même maison pour dormir, une semaine entière. D’autres us et coutumes viennent s’ajouter à cette contrainte : pas de lits, ce sera des matelas posés à même le seul. Encore ? Allez, de mémoire : pas de photos du défunt. Pas de miroir. Surtout pas de maquillage pour les femmes. Pas de soins du corps. Pas de rasage, pas de douche. S’asseoir sur une chaise aussi, interdit. Pendant 7 jours.

La belle Ronit Elkabetz, actrice, co-réalisatrice, pendant israélien de Jaoui (période pas relou, c’est-à-dire avant) propose un huit clos oppressant, où toute la violence et les ressentis familiaux vont éclater. Sur fond de sirènes et de masques à gaz (ça se passe en 91, en pleine guerre du Golfe, un zeste d’ironie féroce, sans doute la force du film), la famille du défunt va s’égorger et vider son sac. Il y a aussi les plus malins, ceux qui viennent draguer en scred’, exprimer leur frustration, mais tout ça, c’est des apartés. L’essentiel, c’est de bien montrer qu’on est triste. Huit clos, forcément, mais angoissant comme des japonais qui font semblant de ne pas se regarder en heures de pointes dans la Yamanote, on perd le compte des journées au fur et à mesure qu’on sort différents cadavres des placards, que le spectacle anxiogène de la famille qui tente de se couper ses mauvaises herbes toute seule. Même si la fin, genre queue de poisson, n’est pas très satisfaisante, l’équipe Elkabetz s’en sort pas mal grâce à son procédé pourtant déjà vu et revu et enlaidit par les piteuses initiatives récentes de films « chorales » made in France.

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Beaufort

Beaufort fait partie de ces films de genre « conscient d’eux même ». Meta-film de guerre, il prolonge la vision du spectateur à mesure qu’ils brouillent les sens et les pistes. Dès la première longue (et formidable) scène, il trucide un élément central de son histoire, sacrifié pour bien marteler la vanité de la situation.

Ce conflit, c’est Beaufort, un nom qui sonne comme une bonne ville de France ou un frometon, est un bastion historique, un château construits par les croisés et territoire conquis au Liban par Israël pendant la guerre de 1982. 18 ans plus tard, l’inévitable frappe à la porte du fortin, mi-château mi-béton : Israël va quitter cette forteresse. Il était temps, les troupes en poste là-bas se font sniper par des roquettes et des missiles. Ils ne servent à rien et ne peuvent rien faire. Désabusé, ils sont tout au plus des pions placés là par un gouvernement absent de l’image, qui ne communique que par téléphone rouge. Rendu impuissant par son instabilité ou son système électoral aberrant, il laisse ses troupes « se débrouiller » en attendant l’ordre d’évacuation.

Anti-film de guerre, Beaufort nous montre des soldats laissés à l’abandon, pris par le doute et crevant les uns après les autres. Chaque attaque du Hezbollah donne lieu à un re-bétonnage sans même chercher les auteurs du tir. On nage dans l’absurde. On évite au passage les leitmotivs du genre (l’amour viril, les caractères bien trempés, les fêtes et les beuveries avant les batailles ou le foot à poil façon Jarhead). Ca ne rigole pas. La caméra préfère se focaliser et surtout se dé-focaliser sur des silhouettes d’hommes au regard perdu espérant un retour au pays le plus rapide, des couloirs, des tranchées… Ils savent qu’ils rentreront s’ils survivent mais personne ne veut être le dernier à fermer la porte.

Il y a eu déjà pas mal de films de guerre condamné à l’échec, mais rarement consacré à un sujet d’actualité aussi brulant. Evidemment, on comparera cette expérience aux capacités du cinéma français (au hasard) à se questionner sur son propre passé. La guerre d’Algérie n’a pas eu son Full Metal Jacket, au mieux un Indigène qui malgré sa générosité évidente n’est qu’un bisounours. Même chose en moins bien pour « L’ennemi intime ». Israël, dont on peut dire sans sourciller que c’est un pays en situation de guerre depuis un paquet d’années, plombé par le secret militaire et la « grande muette », se permet d’avoir son propre cinéma critique, qui ne dédouane absolument pas ses protagonistes. Beaufort, sans avoir la maturité et la maestria pépère d’Eastwood dans Flags of our fathers, est une véritable œuvre critique et mélancolique sur l’actualité.

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Ciné israélien robotics : My Father, My Lord

Spécial cinéma israélien ‘08. Amateurs de franche rigolade, voici le programme : deuil, religion, guerre, re-deuil, sans doute un peu de religion et puis de la guerre. Fiscalité, inceste, œdème pulmonaire, ils avaient pas en stock. On va commencer avec My Father My Lord.

Un rabbin ultra-orthodoxe de Jérusalem fait ce qu’il est supposé faire : étudier la Torah. Il essaye de transmettre son savoir et sa foi à son fils, pas récalcitrant pour un môme de 10 ans, mais pas zélé non plus. Genre « Papa m’a dit », mais sans plus. Survient l’accident où le pauvre mouflet va se noyer ce qui ébranlera le père.
Je tiens d’un survivant de la Shoah le témoignage d’un rabbin, constatant l’horreur : « Vide, le ciel est vide ». On ne peut que nier, en bloc. Presque sans paroles, par séquences lentes, à la limite de la réminiscence, on ressent l’incompréhension du rabbin avec des moments de rage contenue face à un dieu qui lui enlève brutalement ce qu’il a de plus cher. Pire, il n’arrive même plus à exprimer sa colère. Comment croire en lui alors qu’il inflige le châtiment suprême à ses serviteurs ? C’est toute les questions que se posent les acteurs se la jouant naturaliste jusqu’au bout. Animé par d’oppressants mouvements de caméra, exigeant et d’une tristesse inouïe, My Father My Lord est une tragédie pudique, poignante dans ses non-dits, une aquarelle de chagrin inconsolable.

Mais sur le même thème, même endroit, Tehilim (évoqué méga brièvement ici) est encore plus métaphysiquement attirant.

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Dans les dents (1)

Daredevil N°110

Sparrow

3ème Johnny To de l’année, comme une apothéose. Kei est un pickpocket un peu bobo qui, entre deux larcins de haute volée dans les rues de Hong Kong, s’y balade pour faire des photos un peu LoL. Un beau jour, il saisit sur le vif une fille aussi magnifique qu’apeurée. La garce va faire du gringue à lui et à tous les membres de son gang. Manipulatrice, elle les oblige à affrontent un autre gang de pickpockets. Derrière cette histoire de voleurs, Johnny To arrive à créer une sauce western et film de kung fu alors qu’il va absolument rien se passer à l’écran. Comparé à ça, les bastons de Dark Knight sont d’une limpidité Jacky Chanesque. Et pourtant, elles sont adorables. Oui, c’est le mot : To donne aux mouvements de cutter la légèreté d’une comédie musicale (la référence qui saute aux yeux) et la classe naturelle d’un Sergio Leone, le tout dans une sensualité feutrée et une sexualité criante. Il arrive à faire l’impensable, à faire un film d’action sans action. Il est allé au bout du cinéma de (son) genre alors il en investit un autre. Tout comme Triangle, c’est une vraie envie de cinéma qui nous éclate à la gueule sans prévenir.

Fantastique, donc sur 5. Et ouais.

Mad Detective

Il est des films dont il ne vous reste rien, absolument rien. Mad Detective, dans le genre, défonce tout. La première scène nous donne la signification du titre : un détective, profiler sur les bords, se mets dans une valise et se laisse tomber dans les escaliers pour « sentir » la vérité. Il est fou. Mais après, le trou noir. Ca tchatche, c’est moody mais sinon… walou. C’est le deuxième Johnny To de l’année (remember Triangle) et de trèèès loin le plus confus, comme s’il avait volontairement voulu brouiller les pistes. Il ne fait rien pour faciliter la tache. Du coup, il reste comme un blanc.