Les retrouvailles avec N au petit matin sont chargés en adrénaline à l’idée de redécouvrir Moscou par un temps dégagé et en bonne compagnie. Pas d’alternative possible, le déplacement se fera dans l’inoubliable métro de Moscou dont la réputation n’est pas usurpée. Il n’a pas beaucoup changé, il est aussi incroyablement profond et fringuant qu’il y a 20 ans. Tout est aussi brillant comme les joyaux de la couronne, un bling bling du début du siècle narguant les usagers à quelques mètres de hauteurs. Le décalage avec le reste de la ville est hallucinant. Toute proportion gardé, c’est comme si le château de Chambord s’était téléporté dans les couloirs du métro parisien, ligne 12. En fait, il y a de la flicaille un peu partout, parfois en civil. Du coup, prendre des photos au grand jour, même avec le Sony anti-KGB est risqué. Quand bien même…

La balade qui suit dans la galerie Tretiakov est tout simplement estomaquante. N comble des années de retard de vide culturel, notamment en dogmatismes russe-orthodoxe les plus élémentaires, ou simplement en littérature russe du XIXème siècle. Ce n’est pas une visite, c’est un feu d’artifice, la crème des crèmes du genre. Ce maelstrom finit d’ailleurs par énerver les autres guides qui sont ultra violents verbalement. « C’est interdit, ce que vous faites » ou encore « vous pouvez dégager ? ». Oui, les derniers fossiles de l’URSS sont ces fonctionnaires, entreposés dans les musées, qui s’ennuient et tentent d’écrire des SMS en ‘scred. Durand cette mise à jour, le style versatile de Viktor Vasnetsov m’a fait forte impression, tout comme les aquarelles bibliques d’Alexandre Ivanov, pour n’en retenir que deux. Pas vu cependant ces russes qui font vibrer mon cœur, Malévitch, Chagall et tous les autres jugés “décadent” par un système communiste. Les salles sont traversés dans des espèces de chaussons en plastoc’, pas très glamour mais qu’on oublie vite, un autre des restes de l’ère soviétique pour éviter que la boue de la rue ne salisse le parquet.

N. a vraiment un potentiel fou, affirmation que je m’empresse de répéter à W, que l’on rejoint pour déjeuner. Resto gros calibre du jour, spécialité de la mer avec son lot de poissons introuvables en France, ou alors si cher, même au marché de Barbès. Mais la nouvelle attraction de ce repas forcement alcoolisé sera la table d’à côté, une rencontre au sommet des dirigeants du nouveau groupe de service secret du pays, remplaçant du KGB. Ils trinquent de manière traditionnelle, en se levant, et moult embrassade. Même pour les russes, ce genre de démonstrations viriles de camaraderies entre apparatchiks à calvities prononcées n’est pas chose courante. C’est une occasion de plus pour utiliser le déjà mythique Sony anti-KGB qui n’a jamais aussi bien porté son nom. Et non, on n’a pas pu entendre quel serait le nom de cette future officine. Le dévoileront-ils seulement ?

La fin de l’après-midi se poursuit encore dans la joie avec N. que j’escorte par taxi (oui, une fille seule, qui plus est jeune, ne pourra pas monter seule, il faut qu’un mec alpague le dit tacos).

L’édifice au style post-Brejnévien (je ne vois pas comment le définir autrement), architecturalement créatif comme une salle de conférence bulgare des années 80, est une espèce de Pompidou en plus… classique. C’est l’édifice sensé regrouper tout ce qui concerne l’art contemporain. Enfin, tout les tableaux, les statues restent dans l’ensemble ULTRA conventionnels, le véritable art engagé, politique ou social, n’a pas l’air de se trouver là dedans, un véritable bond en arrière niveau audace. On reste donc souvent dans la croute facile, sans énorme incidence. De l’art contemporain comptant pour rien. Le bonheur de cette visite réside dans le coup de bol de tomber sur un vernissage où N. salue une artiste amie de famille. La faune de ces soirées pince-fesses est conforme à ces happenings, c’est-à-dire une tripotée de pique-assiettes qui sitôt fini le discours se ruent sur la picole et le buffet. Il y a une quantité de filles, à peu près le même ratio qu’une fac de lettres parisienne lambda, visiblement tout autant en chasse que leurs homologues occidentales. Dans le fond, un quatuor nous joue un fantastique morceau tiré de « concerto pour ascenseur K.251 en ré mineur ». Les gens sont de toute manière déjà sur le manger. Et surtout, le clou, c’est les prêtres orthodoxes de retour, peut-être les mêmes qui achetaient Photoshop à la rue Montgallet moscovite. Difficile de faire un vernissage plus culte !

Retour d’ailleurs à ce fameux haut lieu du respect copyrightique pour passer en mode achats téléguidés par N. Au programme, ce fameux cd de slav’pop resté introuvable et des déjà mythiques albums de R’n’b russe, de quoi terminer une journée sur un rythme cadencé.