Petit préambule. Pendant des années, j’ai vécu dans une aversion profonde de Disney, une haine entretenue par une détestation familiale dont seule l’inteligencia russe dont je suis issu a le secret (t’as pas idée). Et puis par ce qui me semblait être la médiocrité de leur production d’alors, l’époque irritante où n’importe quelle croûte sortant de leur studio était estampillée immédiatement “classique”. Et dernière couche, Disney savait me rendre si abject ce prisme déformant qui neutralisait (au sens propre) ses emprunts à la culture populaire mondiale une fois syphonné. (sidebar: bizarrement, cette détestation de l’adaptation a toujours été à géométrie variable pour les versions canines des classiques. Me souvenir du Holmes de Miyazaki m’est assez pénible tandis que la classe low-key des 3 Mousquetaires version clébards marche à merveille. Pire, même sans chien, Sous le Signe des mousquetaires avait l’outrecuidance d’ajouter un sidekick à d’Artagnan et de transformer Aramis en fille. Non mais sans déconner, Le-Japon. Fin de la sidebar). Bref, j’ai été entrainé comme un soldat à détester Disney, leurs plagiats patentés et leurs petits arrangements et trahisons.

Quadruple dose de Disney cette année. Non, quintuple si l’on compte EuroDisney que j’ai visité. Pour la première fois. 2010 on risque tout, t’as vu. Mais causons cinoche. Il y a eu Waking Sleeping Beauty, un documentaire qui raconte “les années noires du Disney modernes”. Un doc bien ficelé mais moins indispensable que cette Master class d’Ed Catmull (co-fondateur de Pixar) qui te raconte qu’ils ont foutu Toy Story 2 à la poubelle à peine quelques mois avant sa sortie pour le refaire entièrement. J’insiste, tu dois la voir, cette master class. Mais pour en revenir à Waking Sleeping Beauty, j’ai du mal à encaisser un doc qui part du principe que Black Cauldron (Taram) est un échec. Parce qu’il a fait moins d’argent que le film des Bisounours sorti la même année. Donc c’est un échec et voilà. À partir de cet acte manqué où a quand même officié toutes une nouvelle génération de gonz (plan de coupe sur Tim Burton, la gueule plus que jamais en mode étudiant d’art qui a raté une marche d’escalier, Lasseter, Bluth etc), Disney file les clefs de son studio d’anim à des mecs qui ne peuvent pas s’encadrer mais qui vont modifier de fond en comble la maison. Une lutte entre businessmen, dont le plus brillant va glamouriser le métier de l’animation, finira par aligner les records.


Sur tous les films qu’ils produisent au cours de cette décennie post Taram, je crois que je n’en sauverai pas un seul dans ma mémoire. Tous ces succès du new Disney (les adapt en tout cas) ont pour point commun de les twister de manière à me les rendre méprisable. J’ai entendu toutes les raisons (toutes valables hein, « c’est des récits pour les enfants », qu’on ne peut pas les montrer tel quel aux gosses … Et puis les frères Grimm, c’est trop noir pour les enfants et puis et puis…). Un monde avec des théières qui chantent, pourquoi pas mais pour le reste, sans une fin dramaturgique, la Belle et la Bête (mais aussi Pocahontas et tous les autres), c’est du canigou-ronron. Surtout quand la bête se change finalement en homme avec les traits non-charismatiques d’un Julian Assange. Random mec. Le pire, c’est sans doute Notre Dame de Paris qui prie Dieu et réussit à vaincre le méchant juge… Qui était un prêtre dans l’original (mais j’imagine qu’un juge, c’est tellement plus maléfique et facile à haïr qu’un prêtre ?). Et faire d’une œuvre profondément anticléricale un hymne au bon Dieu, c’est comme faire d’Elephant Man un pamphlet pour les bienfaits de la chirurgie esthétique. Et la petite sirène et ses crabes qui chantent du reggae… Ah et puis le pompon c’est toujours l’autocongratulation autour du Roi Lion qui fait toujours comme si de rien n’était. Le reconnaitre pour Disney, ce serait la mort… Et pourtant ce mensonge de plus donne au documentaire un angle purement business qui, lui, est passionnant. Mais aujourd’hui, j’ai essayé de faire comme si.

2010. C’est avec tout ce bagage que je vois le nu-Disney, la Princesse et la Grenouille, une héroïne noire qui lutte contre sa condition sociale de manière beaucoup plus contemporaine que Cendrillon. Sa famille est de la Nouvelle Orléans. Via une ellipse subtile, on nous explique que son père est mort à la guerre, “vu qu’il était au front comme la majorité des noirs”. Un moment de repentance si exécrée par Eric Zemmour et pourtant si salutaire. Et elle, son rêve, c’est d’ouvrir un resto. C’est tout. Vient un “prince” arrogant qui va se faire dépouiller par son majordome à la tête de Raffarin, poussé dans ce retour d’ascenseur social par un sorcier vaudou. Ça, c’est vraiment du bon background.

C’est assez étonnant de voir que les petites filles se sentent plus proches d’un personnage secondaire, une princesse blonde, et un peu tarte, une métaphore de la fille noblio-bourge un peu ronde qui ne rêve que de prince au mépris de tout risque de consanguinité, toujours à la limite de l’arrivisme social mais en fait une peste mais au bon cœur, sur l’air de “les riches vous comprennent aussi”. Mais depuis quelques temps la patte Pixar se mélange à Disney sous l’impulsion de Lasseter. Il y a deux éléments d’une maturité incroyable. Tout d’abord, il y a un crocodile trompettiste Louis, rendu mélancolique à cause de son impossibilité de se mélanger aux humains. Et puis il y a un personnage qui va mourir. Sans rire, on le voit à l’écran… Un peu comme Cassios dans Saint Seiya.

Mais c’est la première fois (je crois) qu’on va voir un rite funéraire, pas si éloigné de celui du Retour du jedi si ce n’est qu’ici, les Ewoks ne seront pas invités à la teuf.

pour le Settei comme on dit en Japon, pour tout le background plein de sous-entendus assez fous.

Avant d’embarquer pour le prochain Disney, il y a eu cette année Fantastic Mr Fox, le dernier Wes Anderson. Lui joue la continuité : c’est le même film que les anciens avec des acteurs, tournant toujours autour du thème de la structure familiale, de son éclatement et la manière qu’ont ses membres à s’étouffer les uns les autres pour mieux se retrouver. Ce qui est presque énervant, c’est cette attitude désinvolte globale à reprendre une histoire de Dahl, lui coller des musiques trendy (tu sais, cette agaçante playlist “qui veut te plaire”. Mais Mr Fox reste toujours dans une zone de confort assez frustrante, à l’image de ces renards qui, une fois en danger, bah ils creusent un terrier encore plus profond pour s’en sortir. Heureusement que la fin est assez jouissive, elle sauve un peu l’entreprise du sceau du film « gentil ».

et demi.

Raiponce a commencé sur un grand malentendu : son titre. Annoncé un temps comme Razpuncel, le titre original du conte de Grimm, c’est finalement sous le nom de Tangled (« emmêlé » en v.o) que j’ai pris connaissance du dernier Disney. Il y a une raison du volte-face du studio : après la princesse et la grenouille, les pontes de Disney ne voulaient pas s’aliéner le public des garçons (that’s shônen to ya, kid). D’où le changement d’angle, mettant bien plus en avant Flynn (devineras-tu à qui s’adresse cet hommage appuyé ?). Ce switch est si débile qu’il évoque le changement de titre de The Great Mouse Detective / Basile dans un passage de Waking Sleeping Beauty, une modification devenue une vanne en interne car un mec s’est amusé à renommer tous les classiques du Studio de la même manière pour le LoL.

Raiponce 2.0 Disney custom. suit vaguement la trame originelle, une adapt libre qui ne posera problème à personne. C’est bien le parti pris de l’équipe : pas de vague, pas de message gauchiste soujacents comme dans la Princesse & la Grenouille. La seule véritable audace, ici, est d’utiliser de la 2D traditionnelle morphée en 3D. Kinda cool mais qui donne un peu l’impression de voir la réalité augmenté sur Ds : elle nous semblera bien ringarde d’ici quelques années.

Ah et ces lunettes 3D, je.n’en.peux.plus.

En fait, Raiponce a une qualité majeure à mes yeux : les animaux ne chantent pas.

Attention, je vais spoiler Toy Story 3. Et comme c’est un des films de l’année, je n’aimerai pas te faire ça. Attention donc, SPOILERS. C’est parti.

Mais s’il y a un gagnant cette année, c’est Toy Story 3. Pas certain que ça soit le meilleur Toy Story (donc encore moins le Best Pixar)… Il y a toujours des problèmes ici et là comme le rôle de Buzz, devenu sidekick transparent et dont on sent que Pixar ne sait pas trop quoi en faire. Un danseur de flamenco ? Pourquoi pas, au point où on est avec lui.

Tout le film est une redite des thèmes déjà tous cernés dans les précédents : la quête de l’amour dans les yeux de l’autre, la peur de la mort / de l’extinction, le courage, la crainte du changement de statut quo. Et puis dans le genre redite, il y a ces séquences d’évasion à ne plus savoir qu’en foutre (au moins 3 de plus rien que dans cet épisode, ça doit nous faire quoi, 8 au total sur 3 films ?) comme si Pixar avait quelque chose à prouver de ce côté là en ajoutant à chaque une ou deux références cinéphiles. Toy Story 3 a sans doute un des meilleurs némésis ever dans un film pour enfants. Sans rire, il a tout des plus grands, à savoir (la référence pour moi) Doctor Doom : une douleur originelle qui le fait basculer du coté du mal. Et qui refusera toute rédemption que tous les films Disney offrent systématiquement. Brillant.

Mais en fait, l’air de rien, Pixar touche à la grâce miyazakienne des plus belles années. Elle tient à cette scène assez lourde de métaphore (un four). Cette scène, c’est LA scène où les jouets se regardent avant le grand bond, avant de mourir. Cette grâce, c’est le silence. Le silence est un des éléments clefs des plus grandes scènes du cinema. La tension des gunfights, des sabres au clair de lune des samouraï, ne rien dire, c’est une technique si maîtrisée dans les films de Miyazaki où ses pics sont souvent muets. Là, les jouets se regardent et communiquent une dernière fois dans la langue que ne parlent plus les vivants. Pixar les a fait vivre dans l’angoisse, ils vivront désormais dans l’espoir.

Et donc sur ce silence, je crois que je n’ai plus rien à ajouter sur Disney en 2010.