Cinématographe

20 minutes de bonheur

Un doc sur la télé, au ciné. Mouif, et puis de toute manière Pierre Carles l’a déjà fait. On pourrait hausser les épaules et se dire qu’on n’y apprendra rien. Ce serait oublier le plaisir primal qu’on avait à regarder entre amis (ou entres MSN) le show de Bataille et Fontaine. Le rideau. Daphné. Sam, le mec muet qui montre où est le bout du couloir. Le cynisme de la mise en place. L’exemple même du « plus c’est nul, mieux c’est ». J’y prenais plaisir en bruit de fond en bossant. Le highlight, c’était les speechs. « Mais la joie a quitté Yolande. Désormais, elle n’a plus que des souvenirs qui sont autant de photos jaunies par l’indolence des sentiments amoureux (…) ». Yolande a décidé de revoir Jean-Charles son amour de vacances du club Mickey d’il y a 15 ans. La télé le retrouve. La télé lui donne une invit’. La télé paye le Novotel à tout le monde en attendant l’enregistrement de l’émission. Enfin la télé offre le plaisir vicelard à des millions de spectateurs de voir la jeune fille se prendre un méga-vent.

Dans cette boite de prod type (avec une armada de jolies filles, plus concentrées et sexy que dans un film de sexploitation), les boss passent, débriefent en short, balancent des skuds de bon sens populo (On apprend donc qu’une des conditions d’audience est « pas de sujet d’homo à l’antenne juste après la Toussain »). Le petit et le grand restent assez cohérents, on en est presque déçu. Ils font leur taf, un peu de loin, en essayant de rester cool malgré les gueulantes. Mais déjà, on sent qu’ils en ont marre. La star de cet insider est le rédacteur en chef de l’émission, portrait craché de Montgomery Burns (gnééé). Mi-Alexandre Dumas, mi-Kagemusha, il écrit les fameux speechs sirupeux de fou et balance des vérités sur la vie, qu’elle soit de plateau ou pas. Scène de fou : il passe des heures entières à convaincre un témoin de venir sur le plateau… Sauf que ses jolies stagiaires gloussent avant la fin de la longue conversation téléphonique : en fait, il y a erreur sur la personne. Que ce soit de Yalta à la Tecktonik en passant par Mai 68, tout devait amener à ces « 20 minutes de bonheur ». On est partagé devant autant de puissance, d’éclairs incroyables, ce génie du mal, dans toute sa radicalité et son cynisme. Je crois qu’aucun être humain à ce jour ne m’a jamais autant fait penser à un super-vilain de comics. Il est incroyable. Il est le nemesis anonyme le plus réussi depuis l’allemand méga balaize qui filait une rouste à Indy dans l’Arche Perdue.

Remember. Ja !

Le doc ne nous apprend rien, mais il est éloquent comme un Strip Tease tourné dans les coulisses de la TV. Il nous aide encore plus à regarder TF1 avec les yeux d’Arte. Sensible et puissant, sans doute le meilleur doc autour du sujet, très loin devant les trucs un peu lèches qui existent encore genre + Clair ou carrément pathétique comme la galaxie Morandini.

C’est dur d’être aimé par des cons

Charlie Hebdo, le canard type de mon adolescence, période de vie qu’un ami, un chouia de droite qui avait obligé son fils à adhérer « aux jeunes RPR » avait qualifié de « voltairienne ». Je n’avais manqué aucun numéro depuis son relaunch jusqu’à juillet 2000. Mais vers la fin, le pro-bovisme systématique m’agaçait. Le jour où j’ai senti un article teinté de cette haine idiote motivée par des principes moraux alambiqués ou de cet antisémitisme de gauche, j’ai laissé tomber Charlie. Ses partisans nuls (inutiles de les namedropper ici mais il y en a un paquet) et maintenant ce documentaire m’ont conforté dans cette décision. Phillippe Val, entre deux plateaux d’ITV/Ruquier, l’œil plissé, ton grave, nous rappelle, du haut de son fast thinking, à quel point la démocratie était en danger. L’enjeu du procès auquel était confronté son journal va « au delà de tout ». Mais il n’y avait aucune chance que Charlie soit condamné. Le seul highlight de ses deux heures interminables que l’on aurait plutôt passé devant un singe qui jongle, c’est Boubakeur qui avoue que le procès est inutile. Ipso facto, le doc l’est aussi aussi, alors qu’il essaye de faire l’important.

Mesrine 1+2

La reconstitution de l’époque de Mesrine est vraiment hallucinante. On a le sentiment d’être à fond dans les années 60/70. Même le Time dropping n’est pas du tout énervant. On appréciera en guest, un Poivre d’Arvor d’époque. Adieu Vat ! Enfin, tout ça jusqu’à la scène d’intro ou plutôt de climax où l’on voit subrepticement une grosse ligne de piste cyclable ! Anachronisme de fou dans un film si méticuleux. Alors quoi, Mesrine gâché par l’improbable alliance Tibery+Delanöé ?

Mesrine 1-2 est tellement ambitieux qu’il aurait sans doute du être proposé en un seul film un poil mieux structuré. Même s’il ne veut pas (désir maintes fois avoué en interview) faire de Mesrine un héros, un chevalier des temps modernes comme Michaël Knight, il échoue sur ce point de manière flagrante, sans doute à cause de Vincent Cassel qui le joue avec über panache . Vraiment, son attitude, ses vannes, son côté gentleman cambrioleur, Robin des bois de pacotille, fait tellement rire qu’il en fait oublier qu’il abat des gardes chasses innocents, qu’il menace sa femme d’un gun dans la bouche etc. Non, ce qu’on retient, c’est les truculentes évasions, la nique au policier. Mesrine 1&2, c’est quand même le spectacle de « Guignol » live, avec le vilain gendarme, et la salle qui fait « attention Guignol, y a le gendarme », et qui applaudit à la fin du spectacle (en tout cas au Grand Rex).

Richet sait vraiment réaliser, il maitrise son sujet, il delivers. Il est tellement dedans qu’il se laisse parfois emporter par ses lubies proto-engagées comme la torture en prison de haute sécurité « parce que c’est mal, regardez, de la torture ». Mais tout en s’accaparant le sujet, il n’aborde que d’une manière artificielle toute la profondeur politique du sujet, se focalisant pas mal sur les meufs de Mesrine. Et là, rien à péter que ça n’enchante pas la dernière compagne (toujours vivante) de Jacques, ça nous permet de se rincer l’œil sur Ludivine Sagnier, totalement unleashed (et topless) dans l’équivalent d’un clip pour parfum. Et pourtant Richet évite assez les effets wannagain et arrive à rendre l’intensité des fusillades et des courses poursuites en bagnoles 70’s. Du coup, résultat bancal, surtout quand on pense aux seconds rôles : Depardieu « larger than life », Cecile de France mieux que d’habitude mais Amalric, seul acteur qui tente de mettre de la gravité dans le jeu guignolesque de Cassel en jouant avec les yeux écartés. L’entertainement brainless sera content d’avoir un actionneur un peu « gray area » qui fait genre. Oui, ce public bêtement ravi, c’est le même qui s’enterre dans la psychorigidité de « ne surtout pas parler politique » même via une figure historique. Ils ont leur Scarface light, leur christ qui saigne, c’est wesh et c’est tout. Les autres seront déçus que ça n’aille pas dans le fond du sujet. Il y a tellement de scènes biens (la fille dans le parloir par exemple) contrebalancé par un propos à la limite de Michaël Moore tout aussi simpliste, suivi un surlignage stabilo sur le meurtre du journaleux de Minute.

Alors que les deux parties balancent un texte « ce film d’après un être réel, n’a pas de prétention de restituer parfaitement le gus qu’il était » qui où, tel Pilate, Richet se lave les mains de toute velléité de faire un « roi du ghetto flick» . Le premier film se termine sur un texte « que sont ils devenu » typique des histoires vrais, alors que le deuxième, peau d’zobi. Alors, touchette ou pas ? Il reste quand même une bouffée d’ambition peu commune pour un film de genre, épaulé par un script en béton qui joue à fond la carte des vieux polars, celles des « gueules », des films de gangster d’avant. Et rien que pour ça, chapeau.

Two Lovers

James Gray, un film tout les ouat mille ans et là, pof, une rafale. Rétrospectivement, We own the night était bien plus fort que son sujet passe-partout le sous entendait, là, c’est carrément le titre lambda qui va de pair avec son histoire somme toute banale. Leonard (Joaquin Phoenix. Allez, arrête de faire ton boudin, viens faire des films : tes albums ils seront nuls) est un bogosse maniaco-dépressif, tendance « j’ai des coups d’adré soudain mais en général je suis cool, je fais de la photo intéressante tout en étant un créatif non-assouvi ». Bref un archétype un peu cliché comme on en voit tant dans la vie. Mais depuis sa dernière crise, il revit dans la nostalgie des moments passés comme en témoigne sa chambre, capharnaüm rétro situé dans l’appart de ses parents. Ces derniers essayent d’égayer en lui présentant une fille « bien comme il faut ». En plus bien jolie et même assez craquante. Tout irait bien s’il ne faisait pas la rencontre de sa voisine Michelle, évasive, irrésolue, un poil chieuse. Il a un coup de foudre, enfin il le nie presque tant il est amoureux d’une image qu’il ne comprend pas. Il va donc devoir choisir entre la fille bien sous tout rapport que lui propose avec insistance sa famille yiddish et la « fille de l’air », elle-même dans une relation « it’s complicated » comme on dit sur Facebook.

On retrouve plusieurs constantes du cinéma classieux de James Gray : le poids de la famille (la mère : Isabella Rossellini, summum de la beauté qui joue comme un samouraï, tout dans le regard) et les choix déterminants du personnage principal, genre tragédie grecque. Inclus dans ce pack de goodness, Il y a aussi cette scène que j’appelle « la descente des marches ». Dans chacun de ses néo-classiques, Gray filme cette scène lumineuse où le couple descend les marches d’une boite pour rejoindre la teuf qui bat son plein, où ils irradient d’une beauté assez incroyable. La fille évidemment. Gwyneth Paltrow rejoint Eva Mendès et Charlize Théron dans le clan de ces belles filles sexy et délurées, prêtes à s’abandonner dans la nuit, alors que le drame n’est pas loin. Two Lovers a son quota de fête nocturne, mais aussi de drama. Quand Gwyneth détourne le regard, en fait, c’est toi qu’elle regarde dans le blanc des yeux. L’apothéose du style Gray : Sublime.

Le premier jour du reste de ta vie

Après le name dropping, voici sans doute le phénomène le plus horripilant du cinéma actuel, le « time dropping ». Un acteur clamera une réplique d’un ton très naturel histoire de bien faire comprendre où l’on se trouve sur l’échiquier temporel.

“oh j’irai bien au ciné voir Apocalypse Now. Après on ira se promener dans ce fameux « forum des halles » qui vient d’être inauguré par Jacques Chirac. J’en ai assez des infos qui nous bassinent avec le congrès du PS à Metz. Mitterand l’a mis profond à Rocard, on le sait maintenant.”

Avec ça, pas de doute, on sait avec certitude ET subtilité qu’on est en 1979.

« Le premier jour du reste de ta vie », déjà le titre whatever, c’est ça à tout bout de champ, sur fond de saga familiale. Mais ça n’a pas la classe des Thibault, ni de Racines. Et toutes les références sont aussi fines que celle-là, sans doute browzé vite fait sur Wikipedia. C’est nul de bout en bout, et ce qui me chagrine encore plus, c’est la tolérance qu’a la presse pour ce genre de truc, sans doute pour la hype Gamblin (un mystère, ça aussi) ou pour la bande son hyper démago pour faire “d’époque”. Une réplique au pif : « Merde, j’ai dégeulassé mes Berlutti ». Fallait pas.

Quantum of Solace

C’était prévisible, Quantum of Solace est nul. Fallait prévenir le mec qui nous regarde dans le blanc des yeux, posté tel un piquet dans la salle: personne n’aura envie de faire une copie pirate de ce machin où il n’y a que des micro-bouts à sauver, ça et là. Exit Martin Cambell. Maintenant c’est réalisé à la truelle. On peut vraiment parler de douleur physique quand défilent les premières courses poursuites, tant la caméra au poing et le montage miteux rappellent Bourne ou le très mauvais Tony Scott. Et encore au pire de sa forme. Ces séquences serviront sans doute de sample Blu Ray qu’on foutra dans les démo de Home Cinéma 5.1 à la Fnac, c’est dire leur non-intérêt.

Bond est triste et veut se venger, acte 2. Du coup, il se rebelle contre sa hiérarchie (déjà fait : voir Licence to Kill). Spoiler : Bond ne saute même pas Olga (qui joue une sud-américaine, le choix de casting le plus ouf depuis Gon Li, la cubaine dans Miami Vice). Elle est bien, ouais, même plus que ça mais très mal utilisée (voir Hitman où on la voit plus). Almaric est mouif en jouant les yeux écartés comme dans euu pas mal de ses films. Ce dangereux terroriste pseudo-écolo veut mettre la main sur des terrains alimenté en flotte pour, je cite, « doubler le prix de l’eau ». On tremble. Faudrait lui présenter Sarkozy, EDF, GDF sans parler de l’inflation causée par l’euro, il ferait dans son froc. De plus, il faut arrêter avec les terroristes écolo. Les russes, les coréens, les arabes, les fans du PSG, n’importe. Mais les écolos-fachos, y a même pas de quoi renverser la gauche plurielle, alors des puissances mondiales… Ca fonctionnait par miracle dans 12 Monkeys et Jayce et les conquérants de la lumière, mais that’s it.

Quand à Bond, il a la même gueule meurtrie et défoncée que dans la pub pour Sony Bravia durant tout le film (voir la démo 5.1), perdant au passage pas mal de son chien. Volontairement low-key depuis Casino Royale le fantastique épisode reboot, Quantum of Solace gâche complètement le momentum de son prédécesseur, ringardisant Bond à nouveau et le renvoyant à peu près au niveau de Dalton, c’est à dire de bons acteurs dans un beau merdier.

sur 5. Voilà ce que c’est d’écrire son scénario en pleine grève des scénaristes.

Hellboy 2

(bah oui, Juillet 2008 aux USA, le temps qu’il sorte en DVD là-bas. Va comprendre.)

L’art du nemesis est très particulier. Il doit incarner le mal et avoir en même temps une certaine classe. Et qui incarne mieux l’ultime nemesis sinon un nazi ? Oui ! Réponse: un nazi-ninja. Et il y en avait dans Hellboy, le premier, et dans le comics originel. Mais résumer Hellboy II à « no nazi, no fun » serait un peu rapide. Néanmoins son méchant émo-guimauve « pas si méchant que ça » « qui en fait défend sa cause » pue le bon esprit miyazakien tardif du « tout n’est pas blanc, tout n’est pas noir ». Et ça, mon ami, c’est du centrisme cinématographique à fond les ballons. Attention, il n’est pas question de balancer sur Bayrou, le futur président de 2012 de la révolution orange qui profite de la démolition interne du PS aidé par son piétinement par son extrême-gauche. Non. Le centrisme en politique, ça fait gagner des élections, même aux USA. Mais en film pulp c’est mou, et soyons franc, c’est même nul. Même s’il se bat bien en faisant des saltos et en moulinant son épée. A part ça, Hellboy II ressemble à un menu best of de Guillermo del Torro, avec son bestiaire Fraggle Rock qui ne me touche vraiment pas (les trolls et son cortège de bêtes sous-titré « l’imaginaire, le merveilleux monde de l’enfance ») mais qui au moins le mérite d’être en latex, en peluche et en mousse.

Bref, il faut des squelettes, des vers géants et des nazis. Dans Hellboy II, y’en a pas bézef.



Hellboy II: The Golden Army – Johann Krauss

Okay, non, il y a un truc vraiment airwolf dans Hellboy II : Johann Krauss du B.P.R.D, joué par Seth Mc Farlane, le « Family guy » en personne. Contrairement au comics, ce chouette savant allemand ressemble ici à un fantôme (Mysterio-like) dans un scaphandre de type Rackam le Rouge. Il prend possession des objets inanimés et des morts et il a la bonne idée de choper un soldat-robot de la Golden Army pour en casser d’autres. On peut difficilement faire plus bon esprit que ça. Superbe.



Hellboy vs Johann Krauss

Logiquement sur 5.

12

Quand on prononce le nom de Mikhalkov, les russes montrent les dents. Certains lui crachent à la gueule pour sa vie d’enfant doré du régime du parti. D’autres lui reprochent sa vie d’après, celle du grand administrateur de la société de cinéma russe. Tous, du moins en occident, ne voyons pas d’un bon œil son pro-Poutinisme, tout comme ses prises de positions pro-serbes bizarres (qui sont de très loin l’opinion majoritaire en Russie en ce moment). Tout indiquerait que Mikhalkov est un mec assez repoussant politiquement, le genre avec qui on ne parlera pas à table de Kosovo, de Tchétchénie ni de reconstruction du PS. Mais sa filmo parle pour lui : Urga, Soleil trompeur, etc, du film panthéiste et méditatif à la Kurosawa, une filiation clairement visible au fur et à mesure des années. Du coup, malgré la qualité de son œuvre, on a un gout amer dans la bouche. 10 ans ont passé depuis le Barbier de Sibérie. Après quelques rôles (dans Zhmurki*), il revient à la réalisation dans 12. 12 comme dans Twelve Angry Men, le classique de Sidney Lumet.

Douze, c’est le jury réunit pour décider du sort d’un jeune tchétchène, accusé du meurtre de son père adoptif, un militaire russe. Forcément, c’est l’assassin idéal. Et puis il y a le témoignage accablant d’un témoin, les preuves, le mobile du crime est tout trouvé, bref, c’est plié. Sauf pour une personne qui émet un doute. Le vote se faisant à l’unanimité, il exposera son point de vue, et fera hésiter alors chacun des jurés, jusqu’à ce que toute la salle soit submergée par le doute.

La société russe est assez complexe de part ses années de traumatismes postcommunistes (on le serait à moins) mais aussi son multiculturalisme. Alors que la société japonais, par exemple, est soudée par son réseau ferroviaire qui ripoline les citoyens, les hommes russes ont tous en commun l’armée. Chacun a servi dans l’armée ou a eu des proches impliqués dans un des nombreux conflits de ses cinquante années. Le jury est lui-même assez complexe. Entre le vieux chauffeur de taxi usé à la gueule de Lee Marvin soviétique, l’ashkénaze futé et rigolo à la calvitie prononcé, le chirurgien du Caucase, le bourge parvenu de la TV, le nez plein de coke, qu’il faut voir comme un Delarue avec du bide, l’orthodoxe bien prononcé jusqu’à Mikhalkov lui-même qui préside le jury, le spectre est large. Chacun de ces mecs, malgré des certitudes très viriles (ce n’est que des hommes by the way) a une faille. Chacun aura, à un moment, une raison de douter ou d’orienter son vote vers une direction. On assiste à un tour de force d’acteur, chacun touchant à une corde particulière de la conscience des onze autres, et de nous, les spectateurs, révélant parfois des êtres totalement différents de ce qu’ils émanent, le tout dans un huit-clôt tout aussi oppressant que théâtral. Mikhalkov nous présente des vieux chiens abimés par la Russie. Mais pas de corrompus parmi eux… Contrairement au tchétchène plein de panache qui entame sa danse du couteau flamboyante dans sa cellule, ces jurés ne sont pas beaux, ils ont les mains calleuses à trop travailler. Ils perdent leurs cheveux et ont du bide. Ils n’ont pas le beau rôle et pourtant ils vont décider de la vie du môme. Une vraie tradition Dostoïevskienne se perpétue ici.



12 Trailer

12 est absolument splendide. Il est en plus un film très moral, dont les tenants et les aboutissants sont peut-être aux antipodes de ce qu’on pourrait attendre du Nu Mikhalkov dont les extraits écrits et youtubisés font méga peur. En faisant abstraction totale du mec et en ne prenant le film que pour ce qu’il est (ce qui est assez compliqué quand on sait que Poutine a kiffé le film, ouais hein), on vibre à fond pour ses quelques moments totalement Airwolf. Un vrai grand film politique, objectivement généreux et donc dérangeant.

(ah et encore une fois, pas de sortie programmée en France, merci les mecs…)

  • Copy paste de ce que j’en disais à l’époque: 2 mafiosos dans l’ère post-perestroïka galèrent pour des histoires de came à ramener à leur patron (Mikhalkov justement, sous coke et déguisé en Michou/Pascal Sevran, ce qui paraît-il était très hype il y a 10 ans). C’est grosso modo un Reservoir Dogs slave, assez violent mais toujours très comique, reposant quasi exclusivement sur ses acteurs qui font virevolter les répliques racistes, bêtes et méchantes. Bien reconstituée, la Russie d’alors est un mélange entre Desperado et Mad Max, un monde semi-anar’. Zhmurki propose une vraie vision ironique d’un moment de l’histoire d’un pays déboussolé, partagé entre son envie de rebondir et de presser le citron tant qu’il est encore temps.

Appaloosa

Appaloosa est un exemple typique de film canonique, ricain dans toute sa splendeur et sa largeur 16/9ème. Un western en 2008, c’est un anachronisme, certes, mais quand il va plus loin sans se poser de question, là, c’est un miracle. Je n’ai rien contre les beaux morceaux de cowboys panthéistes et dépressifs façon Jesse James ou in extenso Brokeback Mountain. Au contraire. Mais un vrai film du genre, qui s’accroche fermement à ses codes sans diffuser de méta-messages, c’est comme un peu de chaleur que vient vous mettre dans le corps le 5ème shot de vodka : on est bien, en territoire ami. Open Range avait un peu amorcé le retour et Yuma² refaisait du déjà fait en moins bien. Là, on monte le level.

Appaloosa, histoire type datant de la conquête de l’Ouest. Petite bourgade préindustrielle, elle est victime de Bragg, un bag guy (Jeremy Irons, brillant), margoulin de première et accessoirement assassin. Les pontes du bled finissent par demander de l’aide au marshal Cole (Ed Harris, qui réalise aussi) et à son adjoint Hitch (Viggo Mortensen). Histoire de l’affrontement classique de la droiture face au mal, qui se morphe finalement en corruption, avec un vague fond amoureux (Zellweger, no comment).

Ed Harris qui avait réalisé le brillant Pollock (sélectionné dans mon futur article « les bons biopics qui se la pètent pas, sans morceaux d’acteurs dedans », revenez quand ça sera prêt) fait ici du Western Grand Espace qui respire le Nouveau Mexique, de la chaleur à la poussière. Mais surtout, il capte complètement l’essence du buddy movie sérieux et viril, l’harmonie des hommes qui regardent dans la même direction, en se comprenant sans se parler. C’est vraiment dur de capter « ce truc », cet équilibre qui fait que l’entreprise peut basculer dans la bouffonnerie. La réa, énergique mais tout en contrôle, donne la distance suffisante qui évite le trop sérieux, pesant et poussif façon Dark Knight (qui, au fond, essayait de développer la même thématique, à savoir cette amitié doublée d’une bonne dose de bushidô). Ed Harris, génial dans son rôle de « mec à couilles qui te regarde avec des yeux de tigres » (cf la filmo de Clint Eastwood) est secondé par un Viggo époustouflant. Aah Viggo. Véritable pinceau humain qui n’a jamais été aussi bon que depuis qu’il a fait oublier le Seigneur des Anneaux de son palmarès, il est manipulé par les réalisateurs à qui il fait littéralement don de lui-même. On pense aux deux Chronenberg et (Inch’Allah) au projet Poe de Stallone. Ajoutons à ce casting parfait la gueule de voyageur décalqué de Lance Henriksen, et on a de l’or en barre.

Appaloosa ne déçoit pas, jusque dans son finish, d’une majesté contenue. Seule anicroche au genre : c’est le refus total de tout folklore et de paillettes. Le passage des « indiens » concentre toute l’humanité de Danse avec les loups en 5 minutes tandis que les guerriers du Far West tombent minables sous le coup des balles. Pas de de blessures viriles au bras gauche (celui qui ne sert pas, pour pouvoir tuer le boss de la ville/de fin de niveau) après les fusillades. Les duels tiennent plus de l’intensité du combat de samouraïs, affuté comme une lame. Ce réalisme, qui va jusqu’à la pousscaille qui s’installe dans les cicatrices des gueules bourrues de ses héros qui vivent leur derniers moments de vie façon Bakumatsu, apparait comme une vraie force tranquille. Le traitement intelligent et harmonieux de cette amitié burinée, fruit d’un amour évident du genre, tout cela fait du film d’Ed Harris, une sorte de « template », de moule à gâteau dans lequel les autres devraient se fondre. C’est, en quelque sorte, ce que le cinéma américain produit de meilleur aujourd’hui : une œuvre néo-classique.

Inju, la bête dans l’ombre

Le wapanisme est un mal qui peut frapper n’importe qui, même des gens talentueux. Barbet Schroeder (l’Avocat de la Terreur, Von Bullow, Young White Female, du très bon, du lourd) aurait pu se faire passer pour un grand connoisseur en Shabu-Shabu, faire un documentaire sur les otakus facon Beinex avec plein d’images flashs qui clignotent et du cul nippon hentaï ou encore recruter Scarlet Johansson pour trainer ses jolies seins dans un karaoké. Le wapanisme peut commencer dès l’incorporation du mot Ninja dans le titre, donnant fatalement un cachet que j’ai baptisé « Menu F : brochette fromage », propulsant l’œuvre en direct to vidéo, surtout dans les années 90. Les américains ont fait ça pendant des années, que ce soit avec Sean Connery qui explique la finesse de l’Asie à Wesley Snipes, que quand Brandon Lee joue un japonais au côté de Dolph Lungren (Showdown in Little Tokyo, nanar sublime où sont réunis tous les asiatiques d’Hollywood pouvant faire les japonais. Genre Cary-Hiroyuki Tagawa et Tia Carrere.



Showdown in Little Tokyo trailer

Si nul que ça en devient génial. Une ligne de dialogue à retenir :



Pire réplique jamais prononcée dans les années 90

Les français aussi ne sont pas épargnés par la wapanisme. Samurai, émulation du style Kung Fu avec la gaudriole à la française, reprise depuis dans les productions Taxi, faisait très fort dans son style. Le démon Shoshin Kodeni (on peut placer là un MdR) se réincarnait de nos jours en espèce de Shigeru Miyamoto, plus machiavélique encore que Xavier Bertrand et Hervé Morin réunis. Aux commandes de sa méga compagnie, il prépare la sortie de Dark Bushido (oui là, oui, faudrait penser à un logo avec une brochette fromage) pour prendre le contrôle du monde. Heureusement, deux jeunes trublions de banlieue s’interposent. Le choc des cultures ! Nanar vivement recommandé qui, je crois, mérite un nouveau logo instructif de circonstance.

Cadeau, la bande annonce us :



Samouraïs, trailer US

Mais Inju dans tout ça ? Sous-titré la bête dans l’ombre, il navigue toujours à la frontière du fameux Menu F : Brochette fromage susmentionné. Bunô Majimeru –c’est son nom en katakana, la première chose qu’on voit du film- est Alex Fayard; un romancier thésard. Son truc à lui, c’est Shundei Oei, un auteur japonais qu’il faut comprendre comme Edogawa Rampo dont Inju reprend en fait l’histoire, “parait-il car pas lu”. Se rendant au japon faire la promo de son bouquin, il se voit menacé par ce qui semble être Oei qui vit pourtant reclus. Heureusement (!!) pour pas mal de clichés à venir, il va faire la connaissance d’une geisha (enfin geiko comme on dit pour faire authentique) qui ne va pas se faire prier pour coucher assez vite, malgré le manque d’immersion de Bunô. Elle aussi est menacée par un Yakuza avec qui elle a fricoté. Mélangez avec un peu de SM, et hop, you’ve got your wapanesme. Alors est-ce Samaouraïesque ? Même pas. On sent que Barbet Schroeder aime sincèrement le Japon, bossant avec une équipe japonaise presque 100%, ce qui donne ce cachet un peu cheapos des acteurs nippons qui apprennent leur dialogue comme « Dictée Magique » et qui bougent comme on attend d’eux dans une série japonaise.

On sent donc un vrai boulot de restitution de ce petit gout de carton pâte, celui qui fait que Flags of our fathers est infiniment plus intéressant qu’Iwo Jima (non, ce dernier n’est pas wapaniste du tout). Cheap car allant vers l’authenticité d’une représentions TV, pourquoi pas finalement. Restent les trous scénaristiques béantissimes qui font un peu foirer le tout. Comme le Yakuza qui pour baiser sa geisha, décide de vider son énorme demeure de TOUTE surveillance ! Malin.

Pas suffisamment loupé, drôle et ou cliché pour être ridicule et donc un objet de culte décadent (signalons quand même que c’est un des rares films de gaijin se passant au Japon qui ne nous balance pas de plan archi revu de « la nuit à Tokyo, ses néons, ses écrans géants » et autres trucs archi déjà-vu dans de multiples « japon-terre-de-constraste.jpg ». Merci Barbet. D’un autre côté, on a une mécanique de polar vraiment bancale, soutenu par des acteurs assez nuls (le yakuza, l’assistant de Bunô etc). On est peiné par et pour Bunô qui donne le maximum de lui-même (attention vous allez revoir cette phrase bientôt), mais qui a l’air de ne pas savoir exactement comment le jouer, un peu perdu dans les nombreuses strates de lectures que Barbet tente de coller à son film sans trop de réussite. Bref, le réalisateur a voulu donner corps à son wapanisme sincère, forcément plus cultivé que The Last Samurai, sans Gong Li dans le rôle d’une geisha, ou de démons Nobunaga se réincarnant en Jean Reno. Le pire est évité.