La femme en uniforme strict tendance Brigite Nielsen me tend mon passeport. Son seul sourire sera esquissé par un « meilleur vœux » de circonstance. Comme si de rien n’était, je venais de mettre les pieds en Russie, ironiquement pour la toute première fois, alors que depuis des semaines, une gymnastique involontaire de l’esprit me renvoie les images d’une précédente venue. L’air y était encore communiste et mes parents redoutaient, à raison, d’être suivis par le KGB, v to vremia comme on dit. La neige tombait alors tellement qu’on n’y voyait plus rien tandis que le sol se transformait en soupe grisâtre. Un cousin m’enfonçait une chapka sur mon crâne de mouflet comme pour me souhaiter la bienvenue. Puis nous nous étions enfournés dans le dense brouillard de Moscou, un des derniers de l’Union soviétique. Flashforward de 20 ans. Le froid s’est fait plus léger sur une barbe naissante, celle d’un ruskof qui a le sentiment de revenir jouer à domicile. Un petit regard aux alentours pour voir ces gueules typiques qu’on ne voit qu’ici, de ses femmes surmaquillés et sapés pour sortir d’un boeing comme pour sortir de boite de nuit. Un ami nous surprend, il est passé par là, comme ça pour dire bonjour, sans prévenir. Je fais ensuite connaissance avec notre hôte, W. Aux alentours, de la neige, mais surtout de la boue, partout, qu’il faut affronter pour rejoindre la voiture. Le parking… On est loin des guimbardes Lada à réchauffer en l’aspergeant d’eau bouillante, ratiffiant ainsi l’acquis sociétal qui fait que la voiture est un signe extérieur de richesse fiable. Quelques dizaines de minutes plus tard, nous sommes dans sa maison, comme une grande datcha. Le portail s’ouvre et une maisonnette s’illumine.


	

« Eta menty » me glisse W, un mot d’argot que j’ignorais pour désigner les keufs. Ceux-là se relayent pour assurer la garde de la baraque avec des molosses pas très commodes. La maison est une espèce de chalet avec une tour, dans un improbable style mélangeant baroque et art nouveau. De l’inédit total pour qui s’intéresse aux styles architecturaux à l’élaboration «over the top ».

Visite de l’énorme salon convivial « à la russe », différentes chambres d’invités et une cave renfermant une salle de danse et une autre de karaoké pour soirée alcoolisée, sans parler des multiples pièces souterraine, façon Don Diego de la Vega on ice, dans un touchant soucis de tradition. Il y a aussi sans doute une piscine, mais elle devait être en réparation. Les invités arrivent petit à petit, et le salon est envahi peu à peu par 6 petites filles en bas age dont des triplés. Le chromosome Y aurait-il disparu en douce ?

Le repas aux couleurs locales commence, sans retenue et dans une bonne humeur communicative. Idée de famous quote à placer un jour, « la Cuisine russe, c’est celle des jours de fêtes et de tous les jours ». Détail intéressant, je suis le plus jeune des hommes alors que les femmes invitées sont toutes plus jeunes. Elles ont cette chaleur que n’ont généralement pas les femmes occidentales, qui mettent des barrières de distance.

C’est ce même soir que je comprends que mon organisme slave a une résistance à l’alcool à géométrie variable, 5-6 verres de vodka, alors qu’un verre en compagnie de mon grand père m’assomme déjà passablement. L’alcool festif russe doublé d’une certaine technique de boisson longtemps étudiée permet d’enchaîner virilement les verres. La soirée se termine par un feu d’artifice privé ‘achement impressionnant et qui rendrait jaloux Nice et Bordeaux réunis. Ou presque. Dommage collatéral depuis l’arrivée, ma maladie chopée à Paris est passée. Quelqu’un soufflera que c’est les racines slaves, comme un rempotage en terre adéquate. Ah oui, c’était le noël orthodoxe, fêté pour la première fois, et ici.